La question du féminin chez D. W. Winnicott

Nous avons travaillé cette année, dans le groupe mené par Laura Dethiville, sur le texte

 « Jeu et réalité » écrit par DWW en 1971.

 Dans le chapitre 5 intitulé : La créativité et ses origines, DWW aborde le thème du féminin et du masculin et plus précisément encore, dans le paragraphe : « éléments mâles et femelles chez l’homme et chez la femme » sur lequel nous allons nous attarder

A propos de ce thème Véronique Berger, dans son texte nous a rappelé tout à l’heure, que la notion d’éléments mâles et femelles, traduite en français, par « masculin et féminin », ne doit pas être confondue avec la notion de masculinité et de féminité.

Je vais m’attacher à analyser ce que DWW appelle « l’élément féminin » que chaque individu porte en lui. 

Pour l’auteur, cet élément va permettre à l’enfant de fonder son identité sur laquelle il va baser le sentiment de self, c’est-à-dire, sa capacité à être, à construire sa vie de manière créative, être une personne totale. Ce qui peut se traduire par la capacité d’habiter son corps, être une personne autonome et vivre les choses avec une inventivité qui lui est propre. On le voit, « son identification et son intégration », comme l’a souligné V. Berger, « donnent accès à la totalité de la personne. »

DWW rappelle dans ce chapitre que la créativité, comme « la prédisposition à la bisexualité » est commune à tous les hommes ainsi que toutes les femmes.

Il pensait qu’il est bien difficile de la définir cette notion de créativité, si tant est que cela soit possible. Néanmoins, il la situe du côté de « l’impulse » : la spontanéité motrice. Ce que 

L. Dethiville traduit par « le mouvement vers », en lien avec l’énergie vitale.

DWW remarque que la créativité pourrait être considérée comme « prérogative des femmes », située du côté de l’être ; le « trait masculin », lui, serait du côté du faire. Pour lui, cette différence entre le féminin et le masculin n’a rien à voir avec la différence des sexes. Il avait d’ailleurs employé les vocables de « mâle et femelle ». Il n’était pas satisfait de cette terminologie.

Lorsqu’une petite fille âgée d’un an, manifeste de la jubilation en introduisant une clef dans une serrure, par exemple, cela n’a rien à voir avec l’élément masculin ; elle explore le plein et le vide ; nous sommes, là, dans le champ de l’impulse, le « mouvement vers » ; c’est la découverte du monde ; il n’y a pas d’intentionnalité  sexuelle à ce moment-là ; on ne peut y donner un contenu que l’enfant ne peut avoir à cet âge.

De la même manière, le fœtus n’est pas dans une intentionnalité particulière, lorsqu’il donne des coups de pieds dans le ventre maternel ; il s’agit encore une fois dans cette situation, de l’impulse, la spontanéité motrice.

Pour un garçon de 10 ans, par contre, l’action de mettre quelque chose à l’intérieur renvoie à quelque chose d’une sexualité imaginée possible, car l’enfant est une personne totale, à cette étape de son développement : le processus d’individuation s’est construit.

 

DWW présente ce qu’il appelle « un cas », dans ce chapitre : il s’agit du traitement d’un homme d’âge mûr, marié, père de famille, réussissant dans sa vie professionnelle, il exerce une profession libérale. Cet homme a entamé ce que DWW appelle une cure qui se déroule de façon classique. Ce patient a fait précédemment un long travail avec plusieurs psychothérapeutes qui a engendré des changements notables, positifs de sa personnalité.

DWW précise : 

« Dans la phase actuelle de son analyse, quelque chose a été atteint qui est nouveau pour moi : quelque chose qui est en rapport avec la manière dont j’aborde l’élément non masculin de sa personnalité ».

DWW poursuit : 

« Un vendredi, le patient était venu, me racontant beaucoup de choses comme à l’accoutumée. Ce qui me frappa ce jour-là, ce fut qu’il me parla de l’envie du pénis.

J’utilise ces mots à dessein et je demande qu’on m’accorde que c’était bien là le terme adéquat en fonction du matériel apporté et de sa représentation. Il est rare qu’on ait recours au terme d’envie du pénis dans la description d’un homme.

DWW précise que cela n’a rien à voir avec des fantasmes liés à l’homosexualité. Il reconnaît alors à ce moment la fille qui est en lui et il le lui dit:  » Je suis en train d’écouter une fille, je sais parfaitement que vous êtes un homme mais c’est une fille que j’écoute, et c’est à une fille que je parle. Je dis à cette fille : » vous parlez de l’envie du pénis. »
DWW parle au patient de l’élément féminin qui est en lui, ce dont le patient n’a pas conscience.

« Si je rapporte cet incident, poursuit DWW, c’est que le travail commencé au cours de cette séance a réussi à nous faire sortir d’un cercle vicieux. En effet, j’avais fini par m’habituer à une sorte de routine. Le travail qu’il faisait avec moi connaîtrait-il le même destin que celui accompli avec ses autres thérapeutes ? Cette fois mon interprétation eut un effet immédiat ; après une pause, le patient dit : « si je me mettais à parler de cette fille à quelqu’un, on me prendrait pour un fou ».

« Il ne s’agissait pas de vous qui en parliez à quelqu’un répond DWW; c’est moi qui vois la fille et qui entends une fille parler, alors qu’en réalité c’est un homme qui est sur mon divan. S’il y a quelqu’un de fou, c’est moi ».

Je n’eus pas à élaborer cette interprétation, poursuit-il, le patient dit qu’il se sentait maintenant sain d’esprit dans un environnement fou ; le patient rajoute :

« Je ne pouvais jamais dire (sachant que je suis un homme) : « je suis une fille ». Ce n’est pas ma façon d’être fou. Mais c’est vous qui l’avez dit, vous vous êtes adressé à ces deux parties de moi-même. » 

DWW actualise ainsi, dans le transfert, la folie de la mère de ce patient qui avait vu et pensé probablement, son bb comme une fille. 

L’interprétation de DWW, à propos de « son état de folie » a permis au patient de reconnaître la fille en lui, vue de la place de son analyste qui continue à s’adresser à l’homme qu’il est devant lui. Avec l’éclairage de cette cure, DWW met a jour la dissociation vécue mais non éprouvée par son patient des éléments féminins et masculins.

« Dans le cas que nous examinons, dit DWW, il s’agissait d’une dissociation sur le point de disparaître : la défense par la dissociation, cédait la place à une acceptation de la bisexualité en tant que qualité du self unifié. Je constatai que j’avais à faire à ce que l’on pourrait appeler un élément féminin pur. Je fus surpris tout d’abord de voir que je n’y pouvais accéder qu’en étudiant le matériel présenté par un patient homme ».

 

Grâce à la situation transférentielle DWW va permettre au patient d’entrer dans la phase de dépendance absolue, avant le génital, avant la différenciation des sexes. Dans la phase de dépendance absolue, au tout début de sa vie, lors qu’il n’est pas encore séparé de sa mère, le bb va s’identifier au « sein qui est », c’est encore un objet subjectif; la mère donne un sein qui est, elle ; le bb prend le sein qui est une partie de lui. La mère permet donc au bb d’être. 

Au départ ce qui est, dit DWW, c’est l’élément féminin : au commencement, dans le ventre maternel, le bb croît, il s’imprègne de ce que l’on pourrait appeler l’essence de mère.

DWW introduit donc, cette idée singulière d’élément féminin pur: 

« Mon hypothèse dit-il est que l’élément féminin pur est relié au sein ou à la mère, le bb devient le sein, (ou la mère). L’objet est alors le sujet. » 

Le sein est du côté de l’être, non du faire. 

Pour DWW il n’y a pas encore l’existence d’un moi; c’est dans la relation que tout cela va se créer, que l’autre va apparaître et exister ; c’est la rencontre de l’autre, vers l’autre qui va permette au bb de passer de l’être au faire, du féminin au masculin, puisque le faire est masculin. 

Dans le temps du féminin pur, parler de la différence des sexes n’est pas pertinent; si différence, il y a, c’est dans le regard de la mère, comme dans le cas du patient de DWW. Mais quelque chose est inscrit chez le bb qu’il lui faut trouver. Il ne vient pas au monde tabula rasa : « Le bb arrive à la barrière douanière, chargé de malles bien remplies » dit DWW. 

B. Golse précise : qu « il s’agit d’un déjà là qui ne peut être là que s’il est créé et qui ne peut être créé que s’il est déjà là. » 

Pour qu’il y ait un être il faut qu’il y ait une continuité d’être : sense of being. 

Si le bb rencontre un bon environnement, il va pouvoir expérimenter cette continuité d’être. La mère en s’identifiant aux besoins de son enfant dans cette période de dépendance absolue, va lui permettre d’accéder à l’état de sujet, à son identité. Si le bébé ne peut éprouver cette continuité d’être, il sera contraint de s’adapter au faire, et un clivage va s’installer, le bb va construire alors un faux self. 

A l’inverse, la continuité d’être lui permet d’atteindre un niveau de créativité, qui est du côté de l’élément féminin pur, comme l’a relaté Véronique Berger.

De même, dans la cure, il s’agit d’apporter au patient l’écoute dont il a besoin, un peu comme la mère va s’identifier aux besoins de son enfant. 

L’analyste représente un espace  réceptif, créatif et malléable que le patient va utiliser comme médium malléable et accéder ainsi à de nouvelles capacités symbolisantes.

Pour illustrer cette notion de capacité symbolisante, je voudrais vous relater l’histoire de Dibutade, mythe de l’origine de la peinture, décrite par Pline l’Ancien, écrivain du 1er siècle après Jésus Christ (23-79).

 Dibutade est un potier de Corinthe. Sa fille est amoureuse d’un jeune homme qui doit s’absenter ; pour atténuer son chagrin, elle a alors, l’idée d’entourer d’une ligne sombre, à la lueur de la flamme, l’ombre de son profil sur le mur. 

Elle demande ensuite à son père d’utiliser un médium malléable, l’argile, pour accéder à la représentation de son bien-aimé, nouveau talent symbolisant, acte de créativité. 

L’analyste est comme Dibutade ; il va permettre au patient de dessiner les contours de son espace psychique pendant la cure, comme le potier modelait le portrait du jeune homme absent; l’analyste va permettre l’élaboration d’un processus de subjectivation qui conduit le patient à retrouver son histoire recréée. 

Notons au passage, que c’est une femme qui symbolise son désir pour l’être aimé.

Pour conclure, on peut dire que DWW propose une notion tout à fait nouvelle et originale en introduisant l’idée du féminin pur. Le féminin pur, sans trace du masculin, serait lié à la mère, parce que la mère est femme et que tout être humain vient d’une femme.

Je terminerai par ces mots de DWW :

“After being, 

doing and being done to. 

But first being.” :

Après être, 

faire et accepter qu’on agisse sur vous, 

mais d’abord être.

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