Groupe clinique de lecture de textes de Winnicott en Région Centre

Donald Woods Winnicott est souvent cité, mais son appareil théorique, longuement mûri au fil de sa très longue pratique de psychanalyste et de pédiatre, possède une logique interne originale qui demeure méconnue.  Britannique, certes, et ayant assumé des responsabilités importantes, Winnicott n’appartient pas pour autant à « l’École Anglaise » formée autour de Mélanie Klein et de ses disciples. Sans jamais renoncer à la théorie Freudienne, il s’en est cependant souvent démarqué lorsqu’elle ne lui permettait pas de répondre en thérapeute aux énigmes posées par sa double clinique de psychanalyste libéral auprès de patients souvent psychotiques ou limites, et de médecin consultant à l’hôpital pour enfants de Paddington Green. Il fut par ailleurs chargé par le gouvernement britannique de l’évacuation des enfants de Londres lors du Blitzkrieg nazi en 1940-41, ce qui le rendit particulièrement sensible aux troubles de développement liés à la séparation précoce des enfants avec leurs parents.

 

Nous vous proposons de nous retrouver pour partager la lecture de textes de Winnicott à la lumière de nos expériences cliniques respectives, que nous soyons psychanalyste, psychologue clinicien(ne), médecin, infirmièr(e), éducateur (rice), voire enseignant(e) ou engagé(e) à quelque titre dans la pratique auprès de personnes en souffrance psychique ou psycho-somatique, ou simplement interpelé(e) par l’accompagnement des enfants dans leur croissance et maturation.

 

Le premier texte pourrait être « Le rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de l’enfant », texte publié en 1967 (paru en français dans le recueil Jeu et réalité, en 1975), qui nous servira d’introduction au choix des textes suivants en fonction des questions soulevées par cette lecture en groupe.

 

Le groupe de lecture clinique sera animé par

 

Miren Arambourou, psychologue clinicienne, psychanalyste à Trôo (41800), membre associée de la Société de Psychanalyse Freudienne et membre du Collège des fondateurs de l’IWA-France.

mirenarambourou@gmail.com. Tél 06 08 52 44 30

 

Aurélie Scanff, psychologue clinicienne, psychothérapeute, membre de l’IWA-France.

aurelie.scanff@yahoo.fr. Tél : 06 62 76 22 92

 

Il se réunira à partir du 14 janvier 2023 chaque deuxième ou troisième samedi du mois (en dehors des vacances scolaires) de 14h à 16h à Château Renault, dans la petite salle adjacente au cinéma le Balzac, 16, place Aristide Briand.

 

Une contribution (à partir de 2€) sera demandée à chaque séance pour couvrir les frais de la salle qui est aimablement prêtée à notre association.

 

Pour participer on contacte l’une de nous, par mail de préférence.

Comprendre l’expérience du vieillissement avec Winnicott

Associer le vieillissement et Winnicott, la question peut apparaître comme insolite puisque la grande majorité de son œuvre concerne l’enfant et son développement. Et rares sont les occurrences, où sont évoquées les questions du vieillissement humain si ce n’est dans le registre de la maturité. Pourtant, lire Winnicott permet de saisir les enjeux majeurs du développement d’un individu mais aussi de la condition humaine, sa fameuse nature humaine, à tous les âges de la vie, dans le rapport aux autres, à soi-même et au corps.

« Tant qu’il y a de la vie, il y a de la croissance », nous dit DW Winnicott, ajoutant aussitôt, « surtout chez une personne en bonne santé ». Mais cette question complexe de la santé, bonne ou mauvaise, dimension caractéristique de l’avancée en âge, il la déplace ainsi : « Être et se sentir réel, c’est le propre d’une bonne santé ».

Importance de l’environnement, dépendance et indépendance, holding et handling, questions autour du sentiment d’exister, créativité, psyché-soma… Les concepts de la métapsychologie winnicottienne ont beaucoup à nous apporter lorsqu’il s’agit de penser le vieillissement et le grand âge, y compris dans sa composante pathologique.

Nous vous proposons de travailler cette thématique à partir de la lecture de la Nature Humaine, ouvrage où Winnicott expose le plus profondément sa réflexion.

 

Nous nous réunirons le deuxième jeudi du mois, par Zoom.  Premier rendez-vous le jeudi 12 janvier 2023 à 20h30

Pour s’inscrire contacter José Polard au 0612 18 82 09
ou Isabelle Palacin au 06 12 73 89 70

 

Groupe lecture Moi-Peau

Dans la continuité d’une participation à deux groupes de lecture autour de la Nature Humaine de Winnicott, il m’a semblé intéressant de poursuivre la réflexion portant sur le nouage soma-psyché par l’étude du concept de Moi-Peau avancé par Didier Anzieu. Je propose de lire ce texte en associant sur d’autres auteurs (par exemple : quel rapport avec la notion de pare-excitation décrit par Freud dans Au-delà du principe de plaisir? Peut-on trouver des points d’articulation avec les images inconscientes du corps de Dolto? Quels ponts avec Ferenczi?  ou avec la notion d’espace vécu de Gisèle Pankow?). Nous serons bien sûr amenés à interroger notre propre clinique au fil de la lecture.

Tous les 3ème lundis du mois chez Isabelle Palacin, 6 square Albin Cachot 75013

Participants :Josiane Guedj, Camille Guyomard, Florence Lafeuille, Isabelle Palacin.

Groupe fermé

 

Groupe de supervision avec Nicole Auffret

 

Groupe de supervision

 

Je propose un groupe de supervision.

                          6 personnes. De manière à ce que nous ayons le temps au cours d’une année que chacune puisse présenter le cheminement d’une cure  et les questions soulevées que nous mettrons au travail.

 

                           Ce groupe se réunira une fois par mois, tous les 2ème  mercredi du mois.

                           De 21 h à 23 h.

 

                          Il aura lieu à mon adresse :

                         8 rue Jacques Louvel-Tessier

                         75010 Paris

 

                         Pour s’inscrire : me téléphoner au 0666064605

 

                       La première rencontre aura lieu : le 14 Octobre 2020

Créativité du négatif

 

Ce travail fait suite à plusieurs années de groupe de lecture de Jeu et Réalité. C’est à la réflexion collective que je dois le désir de poursuivre et d’approfondir la lecture.  

1-La créativité selon Winnicott

La créativité est très souvent confondue avec la production d’objets d’art. Ce n’est pas cela pour Winnicott. Voici comment il introduit, dans Jeu et Réalité, le chapitre intitulé La créativité et ses origines :

«.. Je me réfère à la créativité en général sans laisser le mot se perdre derrière la création réussie ou reconnue, en lui conservant au contraire la signification de ce qui colore l’attitude globale envers la réalité extérieure. (…) C’est son aperception créative qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue. »

Il oppose cette disposition à l’adaptation conformiste (compliance) qui caractérise bien des sujets. 

La créativité n’est donc pas de l’ordre du faire (fabriquer des objets artistiques, fût-ce des performances) mais de l’être en vie (being alive). 

C’est à propos du rapport du nouveau-né à son tout premier objet, disons le sein, que Winnicott évoque l’expérience originaire de la créativité. 

A l’origine, le nouveau-né est absolument dépendant de la capacité de l’environnement à s’adapter au plus près à ses besoins. « Un bébé, ça n’existe pas sans son environnement ».

La mère place le sein à l’endroit même qui permet au bébé de faire une expérience d’omnipotence : le bébé crée le sein, à condition que la tétée lui soit proposée ni trop tôt (empiètement) ni trop tard (annihilation), c’est à dire que le sein ne soit ni trop près, ni trop loin. Le bébé ne sait pas que son omnipotence est une illusion car il ne distingue pas soi et l’autre, l’intérieur et l’extérieur. Il est dit DWW, fusionné (merged in) avec son environnement.

L’expérience d’omnipotence permet l’intégration : la psyché naissante organise les expériences somatiques qui vont former le noyau du self, à condition que l’environnement  maintienne l’excitation, interne ou externe,  à un niveau qui n’excède pas les capacités du bébé d’y faire face. La mère-environnement protège le self naissant du bébé des empiètements de la réalité extérieure.

Winnicott évoque souvent la difficulté de certaines mères à s’adapter à la dépendance de leur bébé. Dans ce cas là, les bébés bricolent avec leurs capacités mentales immatures une adaptation prématurée à la réalité, en réaction à l’inadaptation de l’environnement. Certains bébés renoncent rapidement à faire usage de leur créativité. Ils vont déployer leur intelligence naissante à se formater selon le patron proposé par le premier autre, trop tôt perçu comme tel: c’est cela que DWW nomme faux-self : il se construit non par l’intégration psychique des expériences somatiques vécues par le sujet, mais par incorporation (Maria Torok) d’éléments de l’environnement à la place des propres vécus somato-psychiques. Cette incorporation  est l’effet des empiètements d’un environnement qui n’a pas su s’adapter.

 Bien des organisations névrotiques se construisent prématurément sur ce défaut du nouage somato-psychique, que pallie une vive compétence intellectuelle. Et s’effondrent lorsque la réalité confronte le sujet à l’immaturité de cette organisation.

L’expérience de créativité doit en effet être accompagnée : au rythme de la maturation neurologique de son bébé, la mère-environnement laisse grandir l’écart spatio-temporel entre lui et le sein en veillant que cet écart ne devienne pas gouffre où le sujet s’effondrerait. Progressif, l’écart déploie un champ que le bébé explore de façon créative, mettant en œuvre de nouvelles capacités d’imagination : ce champ devient transitionnel. 

L’objet transitionnel est un produit de cette créativité à l’œuvre. Pour nous, il a été trouvé dans la réalité extérieure. Pas pour le bébé : l’investissement de sa fonction transitionnelle est l’effet de sa créativité, si l’environnement le lui permet. Cette créativité portera le bébé vers des expériences plus complexes lorsque la valeur de transition de l’objet aura été intégrée au self qui s’en trouve enrichi d’autant. L’objet retrouvera alors son statut banal d’objet d’usage présent dans le monde extérieur et le désir qui s’organise portera le bébé vers des objets plus complexes.

Winnicott s’interroge sur ce qui contraint un sujet à renoncer à mettre en œuvre sa créativité.  Il est convaincu que même dans la plus extrême soumission en faux self subsiste, profondément cachée, une vie secrète que le sujet éprouve valeureuse parce qu’elle est créative et authentique. La souffrance provient de ce qu’elle doit rester cachée et ne peut donc s’enrichir des expériences vécues. 

Trop tôt contraint de s’adapter à l’autre par défaillance d’adaptation de l’environnement, le sujet redoute que sa spontanéité, qui n’est pas accueillie, ne lui fasse perdre l’amour dont il est dépendant. 

L’importance de la créativité  se repère de façon négative, à partir du désarroi des sujets lorsqu’ils en sont coupés : ils trouvent que la vie ne vaut pas vraiment la peine d’être vécue, se sentent vides et ne voient pas de différence à être morts ou vivants. 

2- Un exemple clinique : Sarah

Dans un article intitulé « la relation à l’autre sans mise en jeu de la pulsion sexuelle et en termes d’identifications croisées » (Jeu et réalité chap. 10) Winnicott évoque le cas d’une adolescente de 16 ans reçue en consultation thérapeutique. Au Children’s Hospital, Winnicott recevait, la plupart du temps pour une consultation unique, des enfants et leurs parents, souvent venus de loin. La consultation était un tournant dans la vie relationnelle des familles, Winnicott considérant que les parents, s’ils n’étaient pas pervers ou gravement psychotiques, étaient les mieux placés pour accompagner la maturation de leur enfant une fois qu’avaient pu être levés, au cours de l’entretien, les blocages qui entravaient la capacité de l’enfant à faire usage de ces parents-là pour grandir. Il va sans dire que Winnicott ne pratiquait pas la séance courte !

Sarah avait été renvoyée de son école et les parents priés de consulter le Docteur Winnicott qui l’avait suivie à deux ans pour des difficultés liées à la naissance d’un frère plus jeune. 

Elle a aujourd’hui 16 ans, DWW la décrit comme « intelligente, avec un certain sens de l’humour bien que fondamentalement très sérieuse ». Il lui propose un « squiggle game », un jeu de gribouillage à deux qui est pour lui un outil efficace pour entrer en relation avec les zones « non formatées » du patient. Dans ce jeu, chacun des partenaires (l’analyste, puis l’enfant) est invité tour à tour à tracer un trait plus ou moins spontané, que l’autre transforme au gré de ce qui lui vient, le tout pouvant être accompagné d’un commentaire, parfois adressé, parfois sotto voce comme lorsqu’un petit enfant joue seul à côté de sa mère.

Sarah se rappelle être venue en consultation quand elle avait deux ans, parce qu’elle était « malheureuse de la naissance de son frère » mais elle n’en a plus qu’une vague impression. Elle confirme que ses parents et son école considèrent tous qu’elle doit de nouveau consulter. Elle n’évoque pas les causes de son renvoi et DWW se garde de pratiquer un interrogatoire intrusif. Le but du squiggle game, aux règles fort peu contraignantes, est d’entrer en contact avec la partie non formatée, ni intelligente, ni sérieuse, de l’adolescente.

La première transformation que propose Sarah donne à l’analyste l’occasion de faire des remarques positives sur le dessin produit. Quand vient son tour de proposer un premier trait, elle le rend intentionnellement « le plus difficile possible ».

Notons la nuance d’agressivité que l’adolescente introduit d’emblée dans le jeu, comme en réponse à l’appréciation positive du thérapeute. Nous suivons pas à pas le développement de la relation qui s’instaure au moyen du jeu. (Vous pourrez vous y reporter dans Jeu et Réalité).

Le jeu crée un espace particulier qui se déploie entre la vie intérieure de Sarah, son trésor caché, et l’ouverture offerte par le non-savoir du thérapeute (le savoir serait intrusif et pousserait l’adolescente à se refermer sur ses défenses). C’est un espace mobile que le jeu explore et constitue en même temps : un espace transitionnel. En complétant le trait spontané de Sarah, Winnicott propose une forme possible, non une interprétation. 

Le jeu se poursuit, accompagné d’un bavardage léger, jusqu’au moment où elle commente soudain le trait spontané qui lui est venu : « c’est tout rabougri, ça ne jaillit pas ». 

« Il était évidemment nécessaire que je comprenne que c’était un message et que je sois prêt à lui permettre de déployer l’idée qu’il contenait » commente Winnicott. 

Si l’interpellation n’est pas accueillie, le moment risque de ne pas se représenter et le travail ouvert par ce jeu va s’enliser dans les retranchements défensifs de la jeune fille.

Winnicott intervient alors « pour lui indiquer que j’éprouvais des sentiments en rapport avec ce qu’elle disait ». 

Le thérapeute témoigne de sa disposition à « éprouver avec », dans un champ psychique  partagé. Il ne sait pas où l’emmène Sarah, et elle même semble l’ignorer. Mais une Sarah secrète s’obstine, que Winnicott sent  «impatiente de se manifester, de se révéler à elle même et à moi. » 

3-La manifestation du clivage

« Je passe mon temps à tout mettre en œuvre pour que les gens m’aiment, me respectent, ne se moquent pas de moi.  Je passe mon temps à me demander quelle impression je produis » dit elle.

La confiance semble établie. Winnicott lui propose d’évoquer ses rêves nocturnes. Le rêve et ses associations se déploient dans le même espace que celui qu’avait initié le jeu de squiggle, l’espace de transition entre le sujet et l’investissement de l’objet. Comme le jeu, le rêve est une figuration des expériences émotionnelles vécues par le sujet.  

Sarah évoque un rêve récurrent : dans un environnement familier, elle est poursuivie par un homme grand et sombre ; elle se sent engluée dans une situation vaguement menaçante. Elle précise qu’il n’y a « rien de sexuel là dedans ». 

 L’insécurité que figure le rêve n’a pas pu être prise en charge par l’organisation de la vie pulsionnelle « sous le primat du génital », comme dit Freud, et ne se métaphorise pas en fantasme d’agression sexuelle. Elle reste gérée par l’organisation primitive duelle.

Un autre rêve évoque, dans un environnement tout aussi familier, une sensation de danger : « il y a une sorcière dans le placard (…) elle a une grosse oie blanche qui est beaucoup trop grosse pour ce petit placard. » « Chaque fois que la sorcière fait un pas, la marche disparaît en dessous d’elle de sorte que je ne peux pas lui échapper ». 

Winnicott suggère que l’oie bien trop grosse pour le placard de la sorcière évoque  la grossesse de la mère quand Sarah avait un an ¾.

« C’est possible », dit elle « mais à cette époque je n’arrêtais pas de mentir à ma mère. » 

La partie adaptée, rationnelle accepte l’interprétation de Winnicott  mais une autre Sarah exprime, comme en rêve, «  le sentiment d’avoir été trompée. » Le sentiment que sa confiance a été trahie (la mère devenue enceinte) advient à la conscience sous la forme inversée « je mentais tout le temps ». 

C’est la fonction-miroir de l’analyste qui permet que se manifeste cette zone de la personnalité où la limite entre sujet et objet est indistincte : il y avait du mensonge… De cette partie de sa personnalité, la jeune fille n’a aucun savoir, ce qui indique qu’elle a fait l’objet d’un clivage (Winnicott utilise le terme dissociation pour traduire le terme freudien de Spaltung). Mais elle cherche à se faire reconnaître.

La confidence d’une Sarah à deux voix se poursuit, dans la même phrase : « sur le plan rationnel et logique, je grandis plus vite que sur le plan émotionnel…  C’est comme si j’étais assise au sommet de la flèche d’une église. Il n’y a rien nulle part alentours pour m’empêcher de tomber et je suis démunie (helpless). Il semble que j’arrive tout juste à garder mon équilibre. »

La première partie de la phrase, intelligente et adaptée, semble une observation de l’extérieur,  sans doute conforme à l’opinion des adultes. La deuxième partie témoigne d’une émotion plus intime, authentique. C’est bien là la différence entre faux self adapté, rationnel et self authentique qui, pour Sarah, est resté dans un mode d’organisation infantile. 

Winnicott rappelle la difficulté rencontrée au moment de la naissance du petit frère. L’interprétation « semble acceptée » par la Sarah rationnelle et  logique. (On pense à la jeune fille homosexuelle qui disait à Freud : « comme c’est intéressant… ») Mais l’autre Sarah, qui n’a pas perdu l’espoir de se faire reconnaître, poursuit : « c’est plus que ça. Par rapport à ce qui me poursuit, ce n’est pas un homme qui poursuit une fille,   c’est quelque chose qui me poursuit. C’est parce qu’il y a du monde derrière moi. »

« Là, dit Winnicott, elle devient manifestement malade ». 

Winnicott ne nous dit pas que l’entretien a rendu Sarah malade. Il constate que la partie folle (au sens de non rationnelle) de l’adolescente, qui était soigneusement clivée, peut se manifester clairement car Sarah a pu se laisser aller à la dépendance au transfert: « elle avait une très grande foi en moi. » 

Sarah indique comment elle a construit son moi « intelligent et sérieux » sur le rejet en dehors d’elle du « mauvais » que symbolise la sorcière du rêve: « Les gens pourraient se moquer et si je ne me reprends pas à temps pour traiter ça rationnellement, ces moqueries derrière mon dos vont faire mal.»

Les « moqueries » évoquent l’incompréhension des adultes devant la régression de la fillette à un an ¾ : devant le danger d’effondrement qu’il éprouve en sentant son univers se modifier avec la grossesse maternelle, un bébé régresse un temps à la fusion avec l’environnement porteur (un pas en arrière pour mieux sauter !). Mais la mère qui fut environnement porteur ne peut plus le porter (ni physiquement ni psychiquement) puisque la place est occupée (« une oie bien trop grosse pour le placard »)… Elle attend de l’aîné qu’il soit « grand », et celui-ci, qui ne veut pas la décevoir, et désire également grandir, bricole une façon de « se reprendre pour traiter ça rationnellement » sans pouvoir élaborer l’ambivalence de ses sentiments envers l’objet aimé. 

4-L’ambivalence des sentiments

Que sont devenus, dans cette construction rationnalisante, les sentiments négatifs, désespoir, hostilité, haine, envie de détruire? 

Au collège, Sarah se sentait « sans valeur (…) Le pire, c’était quand je confiais quelque chose de très intime à quelqu’un en qui j’avais absolument confiance : j’espérais  qu’il n’allait pas se détourner avec dégoût… Vous voyez, il n’y a plus personne… Le pire c’est quand je pleure et ne trouve personne. »

L’adolescente revit sa vulnérabilité, sa dépendance à un environnement qui reste vide… 

Puis elle se reprend, comme en une pirouette : « Bon, ça va, j’y arrive … Quand je suis déprimée, je suis glauque et renfermée et tout le monde se détourne ». Sa propre humeur (je suis déprimée) serait donc responsable du vide ? Mais qu’est ce qui provoque cette humeur ? 

Winnicott lui propose un éclairage interprétatif. Il dira plus tard qu’il s’en serait abstenu s’il avait su que l’adolescente allait s’engager dans une véritable analyse, afin de lui laisser faire l’expérience de sa créativité : donner elle même du sens à ce qu’elle éprouve. 

«  Tu détestes la personne dont tu dépends parce qu’elle a changé et cessé d’être compréhensive et fiable. Tu te déprimes au lieu d’éprouver de la haine pour la personne qui était fiable mais a changé ».

La dépression prend la place des sentiments négatifs. Sarah était bien trop dépendante de la mère-environnement pour assumer sa haine pour la mère-objet au moment où celle-ci a brusquement pris la place de celle-là! Sarah est déprimée faute d’avoir pu élaborer en toute sécurité, à son rythme, la position dépressive.

« Je déteste les gens qui me font du mal » confirme-t-elle. 

Et soudain, dans le transfert, elle se met à « vitupérer contre une femme de son école », et laisse tomber toute logique pour exprimer des sentiments tout à fait délirants. Elle « remet en acte », dans le transfert,  « l’attaque maniaque » qui s’était produite à l’école : « J’ai alors compris pourquoi elle avait été renvoyée avec le conseil de me consulter ! »

Elle se sentait persécutée par une surveillante d’internat (house mother !) à qui elle trouvait, en miroir, les mêmes ‘défauts’ qu’elle se reproche à elle-même. Un jour, exaspérée par les empiètements dont elle accuse cette personne, elle jette un couteau sur la porte de la pièce que cette surveillante occupe, indument selon elle. « Tu es folle ? » réagit la surveillante … Le ton monte, l’affrontement est violent, soudain Sarah se met à « hurler, hurler, hurler… » C’est ainsi qu’elle avait manifesté sa détresse à un an trois quart, quand sa mère attendait le petit frère. 

La Sarah raisonnable dit de la surveillante : « à  l’intérieur elle est tout aussi insécurisée que n’importe qui» : sollicitude pour l’autre qui la blesse. Mais la vie intérieure de Sarah est lourde de haine et désir de détruire qui ne parviennent pas à s’organiser en sentiments : ils se manifestent en comportements (passage à l’acte clastique : le couteau, les hurlements, la crise de folie)

Non accueillie dans la psyché, du fait du clivage précoce, sa destructivité ne pouvait être élaborée et intégrée au self comme une énergie positive, qui pourrait plus tard être sublimée dans le « faire ». 

L’adolescente « paraît soulagée de pouvoir parler sérieusement de tous ces évènements », (la Sarah sérieuse et logique est à ce moment-là en contact avec la Sarah qui était folle: dans cet instant le clivage entre self authentique et self apparent, faux-self est levé).

 Mais Winnicott se rend compte qu’il ne suffit pas que la jeune fille puisse « atteindre une pleine expression de sa haine » : il faut aussi que cette haine trouve son objet : « ce n’est pas la femme qui la provoque, qu’elle hait, mais celle qui est bonne, compréhensive et fiable » (et qui a changé). Là se situe le court-circuit qui a empêché l’élaboration de la position dépressive : Sarah invente la sorcière pour continuer à aimer la mère totalement bonne de l ‘époque fusionnelle.

Winnicott réfère cette haine au « désillusionnement brutal quand la mère était enceinte de 6 mois ». Pour Sarah, sa mère est « ce qu’elle peut rêver de mieux comme mère. » La haine a été clivée et projetée au lieu d’être élaborée par la psyché et intégrée au moi. Nous avons vu qu’elle n’a pas pu être prise en charge par la fantasmatisation sexuelle. Elle persiste comme une menace sourde, irreprésentable de  « quelque chose qui me poursuit »

Toute rencontre avec une personne particulièrement bonne est dès lors entachée de méfiance. Cette impasse se révèle dans le transfert : « je suis là, tu as pu m’utiliser; mais ton schéma te dit que je peux changer et te trahir. » 

D’abord déroutée par cette interprétation, Sarah associe sur une relation amoureuse avec un garçon qu’elle a inconsciemment poussé à rompre à force d’être convaincue qu’il allait ne plus l’aimer et la laisser tomber.

« C’est la répétition qu’elle redoute et espère en même temps, parce que c’est une chose bien encastrée» (built in) depuis le changement de la mère. La fillette « a élaboré la conviction que tout ce qui était vraiment bon risquait de changer et de provoquer sa haine et son envie de le détruire » qui existent désormais comme une menace indistincte dans des zones hors d’atteinte de sa psyché, les zones grises de l’indistinction qui n’ont pas pu être parcourues et devenir espace transitionnel. Elle n’a pas pu élaborer des sentiments ambivalents envers l’objet qui enrichiraient la qualité et l’authenticité de ses relations avec le monde qui l’entoure. 

5-La fonction subjectile de l’analyste dans le transfert

Dans la rencontre avec Winnicott, Sarah fait une expérience créatrice : quelqu’un est réceptif à l’immense malheur dont elle continue à éprouver la menace. La source est perdue car l’expérience originaire n’a pu être reflétée au miroir de la psyché de l’autre maternel. Ce que je nomme la fonction subjectile du premier autre s’est révélée défaillante (il ne s’agit pas d’incriminer la mère réelle). Cette défaillance s’est produite à un moment où la fillette traversait une régression qui aurait pu être féconde si elle avait été accueillie. Elle n’était pas mûre pour assumer l’ambivalence de ses sentiments vis à vis de la mère aimée avec laquelle son angoisse la faisait fusionner. Les mamans enceintes ont souvent du mal avec les régressions des aînés…  Elle a donc rejeté hors de ce moi en construction la haine et l’appétit de détruire l’objet fiable/non fiable. C’est ce processus qui se reproduit chaque fois qu’un objet se présente et lui inspire de la confiance. 

Winnicott accompagne Sarah dans la découverte de cette expérience dont elle redoute et appelle la répétition. Il ne manifeste pas d’effroi quand elle devient folle en racontant son passage à l’acte avec le couteau à l’école… Il ne modifie  pas la qualité de sa présence ni sa proximité. Il lui reflète pas à pas ce qui se produit sur les différentes scènes qui sont convoquées dans le transfert, non seulement celle de l’école que la Sarah intelligente se remémore très bien, tout en n’y comprenant rien, mais aussi celle qui échappe à l’intellection, les évènements non inscrits de sa toute petite enfance en relation avec la disparition de la mère-fiable et leur reproduction dans la crise mise en acte dans le transfert. Au fil de la séance, se tenant au plus près de ce que l’adolescente lui fait éprouver en écho à ce qu’elle ne sait pas d’elle-même, l’analyste soutient la continuité dans le temps, laissant se déployer un espace dans lequel la Sarah clivée peut se manifester et être accueillie : dans le transfert, elle peut revivre les affects excessifs (fous) qui avaient provoqué la crise clastique pour laquelle elle a été renvoyée de l’école. 

Winnicott soutient le transfert en élaborant psychiquement ce que vit la jeune fille : il offre son appareil psychique comme support des représentations que Sarah n’avait pas pu élaborer. C’est ce que je nomme « fonction subjectile » de l’analyste. Son activité de penser (dans le silence, la plupart du temps) permet à Sarah, dans le champ d’un transfert qui crée un espace psychique partagé,  de faire à son tour des liens psychiques : les évènements qui lui reviennent en mémoire s’en éclairent. Elle fait l’expérience de sa capacité nouvelle à manier les symboles pour nommer le bruit et la fureur intimes, l’agressivité et la destructivité qui paralysent sa vie intérieure. Appuyée sur le transfert, la Sarah sérieuse et intelligente entre en contact avec la Sarah affolée : le gouffre entre le self authentique clivé et le moi raisonnable adapté devient un espace praticable. (Marc Augé : « L’espace est un lieu praticable » in Non-lieux)

C’est exactement cette capacité de pratiquer l’espace de toutes les transitions que Winnicott nomme créativité. Elle nécessite que le sujet puisse rester en contact avec les parties non formatées, non adaptées, de sa personnalité : l’informe devient source vive. 

Sarah n’est pas retournée à l’école, elle a suivi le télé-enseignement pour s’engager dans une analyse qui dura trois ans, dans laquelle elle a investi toute son énergie psychique. On imagine assez bien que des moments critiques comme celui que nous décrit Winnicott ont dû être retraversés plus d’une fois avant que haine et destructivité ne deviennent des sentiments propres dont elle peut faire usage dans ses relations aux autres. Au moment où Winnicott publie son article, elle a pu faire des études supérieures. L’analyse lui a permis de « se rejoindre » comme dit joliment une de mes patientes : le self authentique n’a plus besoin d’être traité de fou et clivé du moi adapté. Il fournit  son énergie psychique aux relations que le moi tisse avec le monde et se trouve en retour enrichi de ces expériences : la vie vaut vraiment la peine d’être vécue. 

                                     Tours le 8 octobre 2016.

Le féminin et la folie des femmes

Dans « Conversations ordinaires » Winnicott écrit :

« Je voudrais incidemment faire une remarque. Il nous est relativement facile de découvrir notre destructivité lorsqu’elle est liée à la colère due à une frustration ou à la haine pour une chose que nous désapprouvons, ou lorsqu’elle constitue une réaction à la peur. Par contre, nous avons du mal à assumer toute responsabilité de la destructivité qui s’attache par nature à notre relation avec un objet ressenti par nous comme bon- donc objet d’amour.

C’est ici que le mot  «intégration» intervient, car si l’on peut concevoir une personne parfaitement intégrée, cela veut dire que cette personne doit pouvoir entièrement assumer la responsabilité de tous les sentiments et de toutes les pensées qui sont propres à l’individu. A l’inverse, il a défaut d’intégration lorsque la personne a besoin de trouver au dehors d’elle les choses qu’elle désapprouve-le prix à payer étant qu’elle perd la destructivité qui, en réalité, est en elle. »

Ma clinique est celle d’adultes. Je préciserai que la formation de la psychanalyste que je suis devenue, s’ancre dans les questions soulevées par la clinique de la psychose.

C’est dire, les « défauts d’intégration », qui, dans la clinique se présente souvent par ce que nous nommons quand nous ne trouvons pas les mots pour la penser « c’est la question du  corps, des sensations du corps », quand nous découvrons que nous ne pouvons penser en termes de « refoulement ».

Soutenir ces transferts, n’est pas sans bouleverser une certaine conception du transfert avec laquelle, implicitement ou explicitement, nous travaillons. Il n’en reste pas moins que demeure et, est mise au travail, la découverte freudienne, celle de l’inconscient.

Ce matin, je vais vous proposer, de réfléchir sur cette question « destructivité » et  « intégration»

1-Dans un premier temps : deux formes de ces « singuliers transferts » c’est ainsi que Winnicott qualifie le transfert dans lequel il s’est engagé auprès du jeune homme de « fragment d’une analyse ». ce sera donc, tout d’abord

  1. Le début de cure de Marie Cécile ou quand l’amour primaire oral et dévorant envahit la scène, puis
  2. Irruption de la violence de l’amour agressif primaire, destructeur, dans une cure qui a déjà a permis l’élaboration de la possibilité de «jouer» , crée le champ de sa créativité mais soudain quand l’amour est partagé, quand il se lie à la sexualité génitale, au désir, la destructivité menace la créativité. Dans le transfert, nous découvrons la « nécessité » de penser l’ancrage de la pulsion.

2- le deuxième temps : comment cela conduit à une conception du transfert qui elle-même amène mettre au travail la conception métapsychologique auquel le Psychanalyste se réfère.

3- le troisième temps : Transfert et métapsychologie chez Winnicott

La conclusion, sera une ouverture à penser dans l’hypothèse de Winnicott, dans sa conception de l’appareil psychique , ouverture à penser le lien agressivité et motricité.

 

PREMIER TEMPS : DEUX FORMES DE « SINGULIERS TRANSFERTS »

  1. Tout d’abord : le transfert comme « offre de transfert » selon le mot d’Heitor O’Dweyer de Macedo

 Comme je le disais ma clinique est celle d’adulte. Ce sont les questions soulevées par cette clinique qui m’ont conduite à la relecture de Winnicott. 

L’analyste en formation que j’étais n’avait pas l’expérience, dans la durée, de ces «singuliers » transferts » . A cette époque, Je savais les recevoir ces transferts à l’hôpital, la clinique de la psychose nous y forme. Mais là, dans la solitude de la fonction d’analyste, pour soutenir l’espace de ce transfert singulier, les outils de pensée m’ont manqué. Ou, il serait plus juste de dire, la question soulevée par la clinique se révélait à mettre au travail plus encore, au travail psychique en tant que psychanalyste.

J’ai travaillé. Ce fut le temps fort de ma rencontre avec la conception de l’appareil psychique de Winnicott. A ce propos, je ferai une petite parenthèse :

Cette expérience a confirmé une intuition que ma pratique et en institution et en cabinet avait éveillée : 

Soutenir le transfert dans le cadre hospitalier, pour l’analysant comme pour l’analyste, cela mobilise engagement et qualité de présence fort différents. Je ferme la parenthèse.

Marie Cécile, je ai nommé ainsi cette femme qui m’a tant appris.

Je dois dire que très longtemps, je n’ai pu me représenter, comme je le fais à présent, ce qui s’est passé en ce tout début de cure.

Marie Cécile arriva tout d’abord à mon bureau au CMP. Elle était en analyse chez une de mes collègues en ville. Son analyste, me dit-elle, lui avait donné mon nom au CMP. Marie Cécile était au chômage et ne pouvait plus payer. Avant que je la reçoive son analyste m’avait téléphoné, elle m’avait parlé de chômage, son analysante ne pouvait plus payer. Elle me l’adressait au CMP.

Lors de la la première rencontre, je me trouvais face à une belle élégante femme. Elle dégageait quelque chose d’étrange, pas tout à fait là.

Elle semblait plus préoccupée de trouver du travail, que d’une cure. Elle semblait sans émotions, ni pensées, ni sensations, par rapport au changement d’analyste. Elle avait de la colère, par rapport à sa situation professionnelle. « Il fallait qu’elle trouve du travail». Or, un travail se présentait. Il l’éloignait de Saint Malo. Elle voulait accepter, faire l’essai. Elle me demanda donc, si elle pouvait reprendre contact avec moi plus tard, ce que j’avais accepté.

Ce qu’elle fit quelques mois (6) plus tard. 

La situation était bien différente : son fils venait de mourir dans des conditions dramatiques.

Elle téléphone pour avoir un rendez- vous au CMP.

Je la reçois. Je suis stupéfaite de me trouver face à une femme qui me semble coupée de toute émotion.

Je mesure le clivage et la détresse de cette femme. J’apprendrai au cours de ces premiers entretiens que depuis l’âge de 20 ans (elle a alors 45 ans, environ) elle est allée à la recherche d’un thérapeute.

Au cours de ces entretiens, je réalise que son nom, le nom qu’elle m’a donné est le même que celui inscrit sur la porte du bureau en face du mien :

Vous portez le même nom que cette infirmière, est ce quelqu’un de votre famille ? je demande

Elle : « Oui c’est la deuxième femme de mon mari. Pas de problème. »

« C’est un problème » je dis !

 Si cela ne l’est pas pour elle, cela est pour moi, à penser. Car il s’agit d’un engagement, l’analyse, elle se déroule au long cours, et rencontrer la deuxième femme de son ex -mari dans les couloirs me semble tout à fait contre indiquer. Elle accepte parce que je le dis, mais ne « voit », pas comme elle dit, «Je ne vois pas le  problème ». 

Je lui demande quelques jours de réflexion. Car, pour moi,  au CMP, c’est un problème et cela rend le travail psychique impossible dans ce cadre. Je découvrirai plus tard qu’effectivement c’était impossible, certes, mais encore plus que ce que je pouvais imaginer.

J’ai pris une décision. A l’époque je savais que cela était la décision qui avait du sens, mais je me sentais bien seule dans cette décision. 

 Je lui dis que j’entendais dans ce qu’elle m’a dit, sa recherche depuis 20 ans, de thérapeute en thérapeute, son mal être pour lequel elle voulait trouver un lieu, je lui dis que cette recherche pour elle -même, je l’entendais comme une demande d’analyse. Je lui dis qu’il fallait qu’elle, elle se respecte dans cette demande, et, que les autres, dont moi, respecte sa demande.

 Faire une analyse est un engagement, et il faut penser le lieu de son déroulement dans le temps . C’est pourquoi je lui propose de l’accueillir, mais le cadre ne peut être que celui de mon cabinet et pas au CMP. Il y a un prix dont nous pouvons parler sachant que ce sera au moins deux RV par semaine.

Je lui demande de réfléchir, même si elle dit qu’elle accepte.   

Je lui demande de me téléphoner à mon cabinet pour prendre un rendez-vous. Elle le fera très rapidement.

Très rapidement aussi, je découvrirai, ce que j’avais appris des psychotiques, qu’elle ne sait pas ce que parler veut dire. 

Pas longtemps après les toutes premières séances à mon cabinet, la femme policée se fait hurlante. Marie Cécile hurle.  Elle ne veut pas partir du cabinet, elle veut parler.

Elle ne s’en va qu’au bout de 20mn, sur le seuil nous sommes.  

Je sens que si je reste calme, je ne peux plus penser. Et l’angoisse monte des deux côtés. Quand j’ai trouvé le lieu pour reconstituer ma capacité de penser, avant même que quoi ce soit ne soit élaboré, vraiment, élaboré, la qualité de ma présence fut différente.

Et l’effet ne se fit pas attendre : elle partit à la fin de sa séance, sans hurlement, c’était la fin de sa séance et elle pouvait partir, elle reviendrait. « Miracle». ?ou effet du transfert et du travail psychique des deux dans le transfert ? 

Je soulignerai deux temps spécifiques à ces « singuliers » transferts :

  1. « offre de transfert»,comme le nomme Heitor de Macedo : c’est le psychanalyste qui en crée l’espace du possible déroulement  d’une cure analytique
  2. « L’offre de transfert » reçu se fait accueil de langue de l’analysante. Pour Marie Cécile. Ce fut celle de l’amour oral primaire, amour, agressivité primaire.  Mon angoisse la laissait dans le réel impensable et terrifiant. L’angoisse faisait que je n‘étais pas en capacité d’accueil, nous baignions dans l’affect.

Dès que je fus en capacité de penser, c’est à dire, dès que je fus en capacité d’accueillir, de me laisser toucher, mais aussi de pouvoir « prendre » la dissociation dans laquelle elle était, en demeurant en capacité de penser, c’est dire sans en être détruite, dès que je fus en capacité de penser , donc ,  la scène du transfert se fit lieu pour Marie- Cécile, la non différenciation intérieur et extérieur allait être mise au travail.

La cure a pu se dérouler. 

Et qu’est ce qui s’analysa : elle n’existait pas. 

Pourtant, elle avait ce que je nommais une « force de vie » que je trouvais extraordinaire. Je fus surprise quand j’ai rencontré ce mot « force de vie » sous la plume de Winnicott. Sa vitalité étonnante qui allait de pair avec une impossibilité, tout autant étonnante pour moi, à donner forme à cette vitalité, à réussir  à créer et inscrire un espace de vie. 

En fait elle pouvait survivre, vivre ne se concevait pas. 

Or, « Force de vie » Winnicott emploie ce mot lorsqu’il développe comme il le fit en plusieurs écrits, la nécessité de son hypothèse :

« Une agressivité précède l’intégration du moi »

                                              ++++

B-  deuxième transfert «singulier » : la sexualité génitale et son ancrage.  

Pour un nombre assez conséquent de mes analysantes, il fallut un long temps de «construction»  de cette limite intérieur/ extérieur pour que, s’ouvre l’espace de la possibilité de parler et analyser leur rapport au monde, leur rapport au corps, et leur manière de vivre la sexualité. 

En écrivant, les cures de certaines de mes analysantes ont été très présentes, elles ont leurs différences mais ont aussi quelques points communs. Parmi ces cures, celle d’Eloa.

  • Nous avons eu à penser « l’impensable ». Comme avec Marie-Cécile, ce fut dès le début violemment. Parfois, comme pour Eloa, il était là «trou silencieux»  au fil de la cure dont je vais évoquer la fin de cure. Il surgit avec fracas quand sa « créativité » lui permit de rencontrer un homme. Un homme qu’elle désirait (pour la première fois de sa vie, elle éprouvait les sensations corporelles du désir), cet homme l’aimait et la désirait. Pour la première fois, elle s’engageait, pouvait reconnaître qu’elle s’engageait, reconnaître qu’elle le désirait. Pour la première fois de sa vie, désirer était possible et s’engager dans la relation physique était possible. Son travail d’élaboration avait permis une vie avec les autres, une possibilité d’avoir des collègues de travail, voire d’être en conflit. Mais pouvoir vivre la vie amoureuse, ses émois et, l’altérité dans la vie amoureuse, ce qu’elle avait «crée» devint très vite terrifiant. La possibilité d’aimer et être aimée, elle l’avait vécu, moyennant maintenir à distance le corps et ses éprouvés. Elle avait également vécu une séparation, sans disparaître, mais désirer, supporter d’être désirée, désirer et vivre avec plaisir la relation physique dans l’amour,  aimer le corps de l’autre et pouvoir concevoir l’altérité,  se révéla porte ouverte sur la terreur et les retrouvailles avec la violence et le vouloir casser.

Dans un premier temps, furent réactualisées l’angoisse et la menace d’effondrement. 

Elle commença à détruire, attaquer l’homme.  Elle était « Affolée ».

           Ce n’est que, lorsqu’elle put revenir sur le lien à sa mère que l’espace de parole, l’écart qui permet la pensée se ré -ouvrit.  Reconnaître que sa mère fut une femme.  Reconnaître que la femme que fut sa mère, a été traversée en certaine période de sa vie par l’impossibilité d’accueillir les « attaques dévorantes aimantes » de sa fille. Elle ne sut que la penser, « la voir » rivale, c’est dire l’expulser de sa place d’enfant.

         Comme l’a écrit Piera Aulagnier, dans la violence de l’interprétation, la mère que put être cette femme n’a pu faire « don à son enfant du refoulement de sa sexualité.» Elle a empiété l’espace psychique de son enfant.

C’est en analysant le lien à sa mère, en pouvant reconnaître que sa mère était une femme. Cette femme a été la mère qu’elle a pu être. Quelque chose d’un fil de transmission pouvait se crée : elle pouvait se découvrir femme elle- même sans être en danger d’ être envahie par l’affect de la femme que fut sa mère.. Mais le bien connu, pour elle, était l’empiètement dont elle se défendait et l’appel à « être vue » par sa mère, elle qui ne fut pas « portée ».

Elle put dans son analyse concevoir le lien et la séparation d’avec ses parents.  L’altérité put se concevoir comme en même temps put s’approcher ces sensations différentes se « reconnaître » réelle, se voir. 

Sur ce chemin, la position de l’homme rencontré fut fondamentale, il put lui faire co exister sa virilité avec en lui le féminin qui accueille. 

Les points communs de ces cures de femmes aux histoires différentes et aux « inventions psychiques » différentes me paraissent:

  • Un rythme : un rythme lent.  Le long temps nécessaire à la construction de l’espace de la séance comme « espace d’accueil », «  asile » au sens noble du terme, l’accueil est fondamental quand l’intégration n’est pas. Il est accueil de la poussée sans but, amour primaire, juste la poussée vers, juste le mouvement vers … 
  • La rencontre avec le clivage de défense lorsque la sexualité se pense 

Pour chacune de ces analysantes, c’est la question la sexualité qui a éveillé et permit de parler sur la scène du transfert la sensation « c’est pas réel »

« Elle n’y croient pas », « elles ne voient pas ? » « elles ne se voient pas » . 

Cette réactualisation se manifeste par non intégration soma-psyché les vertiges, les acouphènes, des évanouissements, des douleurs musculaires, des maux de ventre et l’attaque. L’homme aimé ne fait ou ne dit jamais ce qu’il faut, ou n’est jamais celui que, selon elles, il doit être s’il l’aime ou, « ce qu’on doit faire quand on aime ».

– L’autre point commun entre elles est que, elles ne connaissent pas le conflit dans la relation amoureuse, seul l’effondrement envahit l’espace de la relation. Le temps est celui de la réactualisation de ce que Winnicott nommait des « défaillances de l’environnement ». Elles ne connaissent pas le conflit ». Quand les sensations du corps sont engagées, elles ne connaissent que l’amour de l’époque où, c’est dans la technique de soin de la mère qu’il se disait, se transmettait. Si, dans la relation amoureuse, avec engagement physique du corps dans l’amour, l’altérité pointe, le conflit ne peut être, c’est l’effondrement, ou le retrait, s’absenter. Quand le corps et ses émois sont engagés elles ne connaissent que ce qu’elles ont toujours connu : l’effondrement. Exister est une construction possible à partir du travail psychique dans le transfert.  Elles peuvent vivre, alors, ce qui pour elles, était inédit, n’avait pas été « porté » par un autre. 

Les filles de Minos et Pasiphaé telle Phèdre dans la lecture qu’en fit Monique Schneider demandent à l’homme qu’il les  fasse exister. Elles en appellent au « féminin » de l’homme, nous ne sommes pas dans le temps de la génitalité, sans, pour autant, que la dimension tierce soit absente. Elle peut se concevoir, mais elle ne peut être « utilisée » dira Winnicott.

« Nous nous proposons d’examiner la pré histoire de l’élément agressif (destructeur par hasard) dans l’expérience instinctuelle la plus primitive. Nous avons à notre disposition certains éléments qui datent d’aussi loin que le début des mouvements du fœtus, à savoir la motricité. Il n’y a pas de doute qu’il faut y ajouter éventuellement un élément sensoriel correspondant. » écrivait Winnicott

Winnicott l’affirme fortement en plusieurs de ses écrits : le psychanalyste chercheur n’élabore qu’à partir des transferts dans lesquels il s’est engagé.

Il me semble que, l’élaborations les concepts de « destructivité » créativité» « intégration », introduit à une conception singulière de ce concept opérateur dans le champ de la psychanalyse : le transfert. D’autres analystes,  d’autres mots  , furent également, pour moi, des aides pour l’analyse de ces transferts :

« la théorie , c’est l’analysant » C’est un mot de Jean Florence lorsqu’il était venu présenter le déroulement d’un « transfert singulier » .

C’est l’analysant, dit- il, c’est la clinique, disons nous souvent, qui ouvre aux questions à mettre au travail, en un mot, peut-être, pouvons-nous dire que c’est l’analyse du transfert qui met le psychanalyste en position de chercheur ? 

« offre de transfert », est le mot de Heitor de Macedo.  Il m’accompagna à penser la cure et le singuliers transfert de Marie Cécile.

« Co-recherche » est celui de Françoise Davoine et Jean Max Gaudillière, leur mot pour nommer le transfert dans les cures de psychotiques, tout à fait précieux dans la clinique de la psychose           

 Pierre Delaunay, affirme : « au psychanalyste l’impensable, au poète l’impensé ».

Ces travaux mis au travail, m’ont accompagnée dans l’élaboration des transferts singuliers. Chacun contient l’idée de l’accueil par le psychanalyste dans son espace psychique.

 J’y ai retrouvé, dans ces conceptualisations différentes présente l’hypothèse de Winnicott :

« Je sais qu’actuellement j’ai besoin de faire l’hypothèse qu’il y a une pulsion primaire agressive et destructrice qui ne peut être distinguée de l’amour pulsionnel propre aux stades très précoces du développement de l’enfant. »

Par ailleurs , je lirai cette hypothèse comme une mise au travail de l’intuition freudienne, celle que nous trouvons dès le début de la recherche de Freud , dans «  esquisse d’une psychologie scientifique » . Je la cite :

« L’organisme humain à ces stades précoces est incapable de provoquer une action spécifique qui ne peut être réalisée qu’avec l’aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au courant se porte sur l’état de l’enfant. Ce dernier l’alertée, d’un fait d’une décharge se produisant sur la voie des changements internes (par les cris par exemple). La voie de décharge acquiert ainsi une fonction secondaire d’une extrème importance : celle de la compréhension mutuelle. L’impuissance originelle de l’être humain devient la source première de tous les motifs moraux. »

             La conception du transfert est indissociable de la conception métapsychologique de l’analyste. 

EN CONCLUSION :

Je souhaiterai ouvrir sur la question soulevée Winnicott : le lien agressivité primaire , amour primaire et motricité.

 

« : dans la préhistoire de l’élément destructeur, dans l’expérience instinctuelle la plus primitive… « les mouvements du fœtus, à savoir la motricité … »écrit Winnicott.

C’est un lien fondamental dans la clinique de la psychose, je pense qu’il donne aux psychanalystes un espace conceptuel pour penser, dans le transfert, l’accueil de la « non intégration », penser l’articulation ou,  en reprenant les mots de Winnicott, penser la fusion primaire « individu- environnement ».

Cette agressivité ,dans son texte apparaît comme, une poussée sans objet vers ..sans objet  qui, accueillie dans son univers psychique. La poussée ( « ça fuse » dit W. )  alors prend forme et crée des formes… création du monde dit il .. 

Dans le transfert nous découvrons l’importance de cet accueil quand l’ agressivité  primaire n’a pu être accueillie dans l’espace psychique de l’autre, quand la poussée vers a été recouverte par l’affect de l’autre.

Quand une mère ne pouvait s’identifier aux besoins psychiques de l’infans, son affect alors recouvre l’espace. Le self se met en retrait..

         Mais c’est une autre recherche.

 Je terminerai en citant de Winnicott ( dans « la nature humaine ») : 

 ‘Il n’est pas nécessaire de postuler à l’origine un état de chaos. Le chaos est un concept qui transporte l’idée de l’ordre. Et, l’obscurité n’est pas non plus à l’origine, puisqu’elle sous- tend la lumière.

Au début, avant que chaque individu crée à nouveau le monde, il y a un état naturel d’existence, et l’aube d’une conscience d’être et la continuité d’existence dans le temps. »

Je me dis parfois que Winnicott a créé l’espace pour penser analytiquement les processus psychiques en jeu dans la mise en forme du « corps vivant ».

Nicole Auffret 

             Septembre 2016 

 

He, l’objet, je t’ai détruit, tu as survécu, je t’aime

Peut-être vais-je commencer en reprenant une définition que donne Winnicott de la créativité : « La créativité est la capacité de conserver tout au long de la vie quelque chose qui est propre à l’expérience du bébé, la capacité de créer le monde »

Et cette capacité trouve son origine dans les temps très précoces de la relation mère-bébé.

Cette capacité, de même que la capacité d’aimer (Winnicott associe les deux), mais aimer n’est-ce pas « créé-trouvé » l’autre, 

dépendent de la manière dont aura pu jouer ce qu’il appelle l’agressivité, mot qui est mal compris la plupart du temps dans notre terreau culturel à nous, Français.

« Une certaine confusion peut naitre de l’emploi du terme agressivité », écrit-il dans « L’agressivité et ses rapports avec le développement affectif ».

A l’heure actuelle je relierais cette notion à celle de motricité.

C’était en 1955.

En 1968, dans « Objets de l’usage d’un objet » il parle plutôt de « l’activité » qui caractérise la vitalité du bébé, il emploie aussi le terme de spontanéité.

«  Une certaine confusion peut naitre de l’emploi du terme agressivité alors que nous voulons dire spontanéité. »

N’oublions pas que le mot « agressivité » vient du latin agredior, « marcher vers », « avancer ». 

Winnicott emploie le terme « impulse » pour parler de ce mouvement, cette motricité instinctuelle qui va à la rencontre du monde.

Dans mon premier livre, j’avais proposé de traduire cet « impulse », ce mouvement vers par « atteinte modifiante », car ce mouvement vers, cette atteinte, au sens de atteindre quelque chose, modifie le bébé de même qu’il modifie le monde.

C’est par cette activité motrice musculaire que l’enfant va expérimenter le monde extérieur et son corps propre. 

Ce corps qui a à ce moment-là est son seul langage et son seul lieu d’échange.

Selon les moments de son œuvre, Winnicott dira :

Agressivité instinctive – avidité théorique – amour – appétit primaire

Mouth love – Amour oral. 

Pulsion combinée amour – Haine.

Il n’y a à ce moment-là aucune agressivité intentionnelle dans le mouvement de l’infans.

La tonalité d’agressivité ne pourra venir que de l’interprétation de la mère au geste de son nourrisson et c’est cette interprétation qui l’inscrira comme telle dans la psyché de l’enfant.

Pour l’infans, cette motricité ne se distingue pas du mouvement libidinal, car il ne peut pas différencier : 

– La montée de la jubilation  tension vers satisfaction

– Les moments où l’excitation s’emballe et le submerge d’une façon qu’il peut sentir comme annihilante. Échec du pare excitation  temps précoce. Mère comme pare excitation.

– Les moments aussi où il fera mal à la personne secourante (Humain d’à côté).

Nous pourrions parler de la « vivance » de l’enfant, aliveness.

Freud déjà dira que c’est une pulsion d’agression qui va se mettre au service de la vie, comme un composante agressive de la libido, héritage de l’instinct animal.

C’est du traitement par l’environnement que dépendra l’avenir de cette motion. Car, à ce mouvement vers, à cette atteinte modifiante, c’est l’autre qui va répondre en donnant du sens, l’autre qui va réagir sur un mode projectif et à partir de ses propres fantasmes.

Si la mère, identifiée aux besoins de son nouveau-né, se laisse utiliser de façon vivante, 

si elle est capable d’offrir à son enfant une satisfaction pulsionnelle instinctuelle, avec la violence qui parfois l’accompagne, si elle ne se sent pas attaquée – en d’autres termes, si, durant tout le temps que dure l’expérience, elle maintient son holding psychique, alors elle permet à l’enfant de vivre l’expérience sans en sortir anéanti. 

Car, à la minute où l’appétit est satisfait, le désir disparaît, et l’enfant a perdu quelque chose qui le constituait. Il se retrouve seul et perdu dans un monde sans saveur.

Winnicott écrit : « Dans l’état le plus primitif, qui peut être maintenu dans la maladie, et vers lequel il peut y avoir des régressions, l’objet se comporte selon des lois magiques, c’est-à-dire qu’il existe quand il est désiré, il approche quand il est approché, il blesse quand il est blessé. Enfin il disparaît quand il n’est pas désiré.

« Ce dernier aspect est le plus terrifiant et c’est la seule annihilation réelle ; ne pas désirer, à la suite de la satisfaction, c’est annihiler l’objet. C’est une des raisons pour lesquelles les petits enfants ne sont pas toujours heureux et contents après un repas qui les a satisfaits. » 

L’appétit reviendra, bien évidemment, mais l’infans ne le sait pas encore. Il faudra l’infini répétition du même pour qu’il intériorise cette donnée.

En attendant, c’est la permanence de l’environnement qui assure le maintien d’un contenant global qui permet à l’enfant de connaître une expérience de rassemblement autour de son vécu sensoriel. 

Il a perdu la mère du désir, mais l’environnement familier se maintient : odeur et contact du sein, confort et portage, « bruitage de la mère », accroche des regards. 

Le traumatisme de l’exigence instinctuelle suivi du traumatisme de la satisfaction ont provoqué un trou dans la continuité d’existence. 

Les soins appropriés d’un environnement adéquat ont permis une « restauration », au sens de Winnicott. 

Après un bref vacillement, l’objet est toujours là, vivant, c’est-à-dire le même, détruit pendant un très court laps de temps, mais vivant à nouveau.

En revanche, si, du fait de son histoire, du fait de sa fragilité, du fait des circonstances, la mère vit le mouvement de son nourrisson vers le monde, vers la vie, d’une façon négative, si elle se sent mise en danger, attaquée, elle sera différente dans le holding de son bébé durant cette expérience, même si c’est de façon subtile et ténue.

Devant le traumatisme du à la satisfaction de son besoin, c’est-à-dire devant la perte du désir, l’enfant reste sans recours. « C’est ainsi, écrit Winnicott, qu’une mère peut très bien satisfaire les besoins du ça et violer la fonction du moi du nourrisson » (Ego intregration in child development). L’objet, pour lui, aura bel et bien disparu (pour un temps court, mais il ne le sait pas encore). Il pensera donc l’avoir détruit. 

C’est cela, la « destruction de l’objet ». Il n’est plus là comme objet désiré, donc il n’est plus là du tout. A la place de la mère d’amour, il y a du vide. « Il y a un trou là où il y avait un corps complet plein de richesse », « une source d’enthousiasme à l’égard de la vie a brusquement disparu et l’enfant ne sait pas qu’elle reviendra ». L’enfant lui-même est transformé. Il était envahi d’une sensation certes désagréable, mais qui était à lui, qui faisait partie de son vécu corporel, qui était lui. 

A partir de la satisfaction, cette sensation va également disparaître.

Ainsi l’enfant, en même temps qu’il ressent le soulagement-plaisir de la fin de son excitation pulsionnelle, se trouve dépossédé d’une sensation qui lui appartenait. Il est différent ; la mère, aussi, est différente. Pendant un court moment, il ne s’y retrouve pas 

(car il ne peut encore lier ensemble la mère des phases excitées et la mère des phases calmes). 

Il a détruit, pense-t-il, ce qui lui est indispensable 

et qui fait partie de lui, car, ne l’oublions pas, à cette période il est confondu avec son environnement, un environnement qui va de soi. Du coup, au lieu que cette spontanéité motrice – l’atteinte modifiante – puisse être considérée comme un accomplissement, comme un mouvement vers l’autre, elle s’en trouve inhibée, car trop dangereuse, entrainant une limitation de ce que Winnicott nomme la créativité.

– Si l’objet est détruit (réagit), impossibilité d’expérimenter que l’amour et la haine puissent être sur le même objet (mère-objet – mère-environnement)

– Ou encore, puisque non-différenciation moi – non-moi, état de chaos et de désorganisation.

Le moi encore immature de l’enfant va se trouver attaqué et débordé dans ses capacités d’organisation et de défense. Le sujet est obligé de dissocier.

Ce que la psyché infantile ne peut intégrer doit être traité par l’environnement.

– Soit, donc, par une protection active et apaisante qui permet de réguler l’intensité des afflux pulsionnels dans des frayages qui soient supportables.

– Soit, après coup, si l’expérience de débordement a eut lieu.

Cf. enfant dans les bras de la mère pour se rassembler.

Toute faillite de cette fonction de l’environnement va confronter l’enfant à une menace de mort par la pulsion, c’est-à-dire, menace d’agonie primitive.

La pulsion de vie peut être terriblement ravageante et la psyché va mobiliser toutes ces ressources afin de juguler la menace effractive et d’en limiter l’effet.

Il nous faut donc penser les choses différemment et c’est une grande révolution.

« La théorie orthodoxe suppose que l’agressivité est réactionnelle à la rencontre avec le principe de réalité alors qu’en fait c’est l’atteinte modifiante (impulse) qui crée la qualité de l’extériorité.

Il n’y a pas de colère dans la destruction de l’objet à laquelle je fais référence, quoiqu’on puisse éprouver de la joie à la survie de l’objet ».

(L’utilisation de l’objet et le mode de relation à l’objet au travers des identifications, Jeu et Réalité).

Winnicott, en effet, établit une distinction entre « destructivité positive » et « destructivité pathologique ».

La destructivité positive est le processus que nous avons décrit en premier lieu, c’est-à-dire celui qui effectue la destruction de l’objet suivie de sa survie. Cette succession pose  l’objet comme réel, hors de la sphère d’omnipotence du nourrisson. C’est un processus essentiel. Réel, comme il le précise, signifie « faisant partie de la sphère de la réalité partagée », et non pas simplement « faisceau de projections ». L’objet est découvert comme ce qui résiste à l’hypothétique destructivité. Il perd son statut d’objet subjectif. 

Il devient extérieur. Rappelons bien que cet objet c’est un autre, un autre sujet. Et il est nécessaire que cet autre accuse réception sinon ce serait une annihilation du vécu subjectif du bébé.

Cette expérience de la destructivité suivie de la survie de l’objet marque l’accès du sujet à une vie réelle, en contact direct avec des objets réels qui peuvent être aimés dans la mesure où ils peuvent être détruits dans le fantasme et survivre dans le réel. Ainsi le bébé peut commencer à établir une différence entre l’objet du fantasme, celui qu’il a l’illusion de détruire, et l’objet externe, c’est-à-dire l’autre sujet. Cette expérience permet au jeune sujet humain en devenir de poser l’objet hors de soi. 

Ainsi l’infans peut créer un monde qui,  en fait, était déjà là en attente d’être investi. C’est le paradoxe de Winnicott : parce qu’il survit, l’objet devient réel ; mais c’est aussi parce qu’il est réel qu’il survit.

A partir de là, l’objet peut être utilisé, c’est-à-dire qu’à cause de sa capacité de survivance il va être trouvé et possiblement utilisé. Winnicott précise qu’il n’emploie pas le mot de « destruction » – terme dont il n’est pas lui-même satisfait (« peut-être le mot exact n’a pas été trouvé », dit-il à la fin de sa vie (Objet de l’usage d’un objet. La crainte de l’effondrement)) – que pour marquer que celle-ci ne devient effective qu’en cas d’échec de l’objet à survivre. 

Ce n’est jamais l’atteinte modifiante qui est cause de la destruction, mais l’objet lui-même dans son incapacité à survivre. Cette avancée, surement la plus essentielle de sa pensée, a été souvent peu comprise. L’utilisation de termes courants, comme agressivité, destruction ou survie, et le sens particulier qu’il leur donne ont conduit, encore une fois, à une mécompréhension (misunderstanding).

La survie de l’objet signifie que, du point de vue de l’enfant, l’objet demeure le même, qu’il peut s’y référer et l’utiliser. 

« La destruction d’un objet qui survit, qui n’a pas réagi ni disparu, conduit à son usage ». (Objet de l’usage d’un objet, La crainte de l’effondrement)

Et, ajoute-t-il, à partir de là,  il peut commencer à être aimé. Ainsi, pour atteindre la capacité d’aimer et supporter d’être aimé, il faut avoir expérimenté le maximum de destructivité suivi de la survie de l’objet. 

Rappelons que Winnicott refuse le terme d’objet primaire, auquel il substitue la mise en place d’un environnement adapté qui permet au jeune sujet naissant de croître au plus près de ses potentialités.

« Le sujet dit à l’objet : « Je t’ai détruit », et l’objet est là, qui reçoit cette communication. A partir de là, le sujet dit : « Hé ! l’objet, je t’ai détruit. » « Je t’aime. » « Tu comptes pour moi parce que tu survis à ma destruction de toi » « Puisque je t’aime, je te détruis tout le temps dans mon fantasme (inconscient). » Ici s’inaugure le fantasme chez l’individu. Le sujet peut maintenant utiliser l’objet qui a survécu. Il importe de noter que n’intervient pas seulement le fait que le sujet détruit l’objet parce que l’objet est situé en dehors de l’aire de son contrôle omnipotent. Il faut aussi exprimer la même chose dans le sens inverse en disant que c’est la destruction de l’objet qui place celui-ci en dehors de l’aire du contrôle omnipotent du sujet. De ces diverses manières, l’objet développe sa propre autonomie et sa vie, et (s’il survit) apporte sa contribution au sujet selon ses propriétés propres. »

(L’utilisation de l’objet et le mode de relation à l’objet au travers des identifications, Jeu et Réalité).

L’usage de l’objet est sans aucun doute, une des avancées les plus essentielle de Winnicott, car il va l’étendre à l’usage qu’un patient peut faire de l’analyste.

« A ce stade du développement, le sujet crée l’objet au sens où il trouve l’extériorité elle-même. Il faut ajouter que cette expérience dépend de la capacité qu’a l’objet de survivre (dans ce contexte, « survivre » signifie, et c’est important, ne pas appliquer de représailles). Si c’est au cours de l’analyse que ces questions surgissent, alors l’analyste, la technique analytique, et le cadre analytique interviennent tous en tant qu’ils survivent, ou ne survivent pas, aux attaques destructrices (qui peuvent être aussi la séduction) du patient. Cette activité destructrice correspond à la tentative que fait le patient pour placer l’analyste hors du contrôle omnipotent, c’est-à-dire dehors, dans le monde. S’il ne fait pas l’expérience de la destructivité maximale (objet non protégé), le sujet ne place jamais l’analyste au dehors, c’est pourquoi il ne pourra rien faire de plus que l’expérience d’une sorte d’auto-analyse, utilisant l’analyste comme une projection d’une partie de son soi. » 

(L’utilisation de l’objet et le mode de relation à l’objet au travers des identifications, Jeu et Réalité).

Groupe de lecture animé par Laura Dethiville

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Après avoir travaillé sur Agressivité Destructivité et Créativité, nous avons travaillé le recueil Jeu et Réalité et nous allons commencer cette année la lecture de La Nature humaine. 

Le groupe se réunit les 4ème jeudi du mois. 

Inscription auprès de 

Laura Dethiville Tél. : 01 43 36 06 96

 

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Introduction de Laura Dethiville

Merci c’est une présentation très élogieuse, il va falloir que je sois à la hauteur maintenant !

Je voudrais reprendre, comment je me suis trouvée, non pas à rencontrer, mais j’allais dire à créé-trouvé moi Winnicott. Quand nous avons fondé la SPF, la Société de Psychanalyse Freudienne, il y a 20 ans, nous avons décidé de proposer un séminaire sur l’œuvre de Winnicott. 

C’est moi qui m’y suis collée. J’ai vite été passionnée par cette œuvre et dans le même temps, certains textes me semblaient indigestes et les livres me « tombaient des mains ». C’était lourd, je ne comprenais rien !

Et ceci jusqu’au jour où j’ai acheté à Londres, à la boutique du Musée Freud, Psychoanalytic Explorations (traduit partiellement depuis dans « La crainte de l’effondrement »). Et ça a été une révélation.

Et j’ai découvert que ce qui nous rendait parfois Winnicott indigeste, et aussi qui le banalise, c’est la traduction. 

Les premières traductions en Français ont donné une image fausse de Winnicott. Cela s’est amélioré ensuite avec l’équipe de J.B. Pontalis chez Gallimard, mais le mal était fait si je puis dire. Par exemple il y a une énorme erreur de traduction mais qui change tout le sens, c’est ruthless. Ca c’est un de mes chevaux de bataille je vous le répète, ruthless, c’est le terme winicottien.

Ca a été traduit, d’abord dans la bibliothèque Payot par « cruel », ce qui est totalement faux.

Le bébé, n’est pas cruel, il est ruthless, ce qui veut dire « sans égard », sans égard pour l’autre, parce que l’autre n’est pas encore constitué comme tel. C’est ça la révolution de Winnicott. 

Il ne parle pas d’un espèce d’amour maternel, mais d’une fonction, fonction qui peut être tout autant assumée par quelqu’un d’autre que la mère. 

A la fin de sa vie, il parlera de la mère-environnement et puis de l’environnement, qui permet que l’enfant puisse être, qu’il puisse venir au monde avec ces potentialités, et, à partir de là vivre sans être empiété (j’ai été obligée de faire un anglicisme puisqu’il parle des empiètements de l’environnement).

Et donc l’enfant n’est pas cruel. D’ailleurs Winnicott qui souvent n’est pas extrêmement précis, dit ruthless quand il parle du bébé, et il emploie cruel et cruelty pour l’adulte.

La cruauté ne peut être que du côté de l’adulte. Voilà, une des choses qui nous fait découvrir Winnicott autrement.

La mère suffisamment bonne, je n’ose même plus le dire, c’est good-enough mother, et traduit par la mère « suffisamment bonne » qui donne une idée fausse de la conception de Winnicott.

Vous trouverez dans Lettres Vives la lettre qu’il a écrite à Helen Stierling après une des soirées scientifiques du Mercredi : 

« C’est vous qui employez l’expression « good experience ». Il est important pour moi que, dans mes écrits, ce soit toujours « good enough » qui apparaisse plutôt que « good ». Je pense que les mots « good enough » aident le lecteur à éviter la sentimentalité et l’idéalisation ».

Good enough en anglais, c’est juste bon, juste ce qu’il faut sans plus. Si vous êtes invités chez des gens en Angleterre, et qu’à la fin du repas vous dites « It was good enough », et bien vous ne serez certainement pas souvent réinvité, ou alors c’est que vos hôtes avaient un sens de l’humour vraiment très fin.

Alors, que veut dire Winnicott ? Il dit que la mère doit être juste adaptée, on ne lui demande pas plus, il faut qu’elle soit adéquate. C’est très difficile à traduire, je n’ai toujours pas trouvé de solution satisfaisante. Avec Miren Arambourou, qui est là, et quelques autres qui sont là également, nous sommes en train de travailler pour construire un lexique winnicottien, et justement reprendre tous ces termes qui sont passés dans l’usage courant comme des slogans : le doudou, la mère suffisamment bonne, et qui donnent une image fausse de ce que Winnicott voulait dire.

On a du mal à trouver une traduction qui soit quand même un minimum élégante de good enough. J’avais mis « passable » dans mon premier livre, mais ce n’est pas très bien perçu pour les français. Mon premier livre est beaucoup autour de la reprise de ces termes, comme par exemple le terme de besoin. Les traductions écrivent qu’il faut que l’environnement s’adapte au « besoins », or il dit need, il dit ce qui est nécessité, ce qui nous ouvre quand même tout à fait une nouvelle écoute, il ne s’agit pas du besoin, il s’agit des nécessités, il s’agit de to meet the need. Il ne s’agit pas de répondre au besoin, il s’agit d’aller au devant de ce qui est nécessité, pas plus. Juste ce qui est nécessité pour un bébé humain. 

Vous le verrez toute à l’heure avec l’intervention d’Elisabeth Mercey.

Voilà, donc d’abord, une espèce de vision bêtifiante de Winnicott, dont j’aimerais que vous sortiez. Mais ce n’est pas que de la faute des traducteurs, c’est sa faute à lui aussi.

Par exemple, reprenons le terme de « pulsion ».

Lui, il ne parle pas de pulsion, il parle de impulse, mouvement vers. Systématiquement dans les traductions françaises, on parle de mouvement pulsionnel, de pulsion. Même instinctuel ils le traduisent par pulsionnel. Et c’est tellement vrai qu’un jour dans notre groupe de lecture, et ça nous a effarés, il y a une ligne, qui n’existe pas en français, ou il dit « et je vous parle de tous ces mouvements impulse, instinct, et drive ». Donc lui même faisait vraiment la différenciation entre ces trois nuances du mot, mais en français ça a sauté, parce qu’on traduit tout par pulsionnel.

Alors il y a aussi quelque chose qui nous échappe souvent, c’est qu’il était plein d’humour cet homme-là, et dans les conférences comme ça il faisait des petits jeux de mots, des petits trucs d’humour, et cela ne passe pas nécessairement à la traduction.

Donc ça c’est un premier point, le deuxième point c’est de faire de lui seulement un pédiatre qui serait venu à la psychanalyse. Ce n’est pas vrai, d’abord il n’était pas pédiatre, parce que la spécialité de pédiatre n’existait pas à l’époque, après ses études de médecine il voulait être médecin généraliste à la campagne, et puis il se trouve qu’il a obtenu un poste au Paddington Green Hospital dans un service d’enfants, alors qu’il n’avait aucune formation pédiatrique. Et il s’est mis à recevoir des enfants. C’était un quartier pauvre, des familles pauvres, plutôt pauvres, pour des enfants qui avaient des maladies physiques. Et il le dit lui-même il a fallu l’invention, l’arrivée des antibiotiques et des sulfamides pour qu’on s’occupe du psychisme, parce qu’avant il fallait d’abord sauver la vie des petits malades. C’est après qu’il a commencé à s’apercevoir que beaucoup de ces maux, certain de ces maux de ces enfants pouvaient être interprétés sur un plan psychique et traités de cette manière-là. Mais il lui a fallu le temps.

Il le dit lui-même, c’est dans « La crainte de l’effondrement », dans un texte qui s’appelle « D.W.W par D.W.W », Donald Woods Winnicott, il dit «  quand j’ai commencé à travailler dans ces hôpitaux, je n’avais aucune idée que le bébé est une personne. Ce ne sont pas les bébés qui m’ont appris, ce sont les patients adultes psychotiques borderline qui dans des phases de régression profonde m’ont appris à regarder et écouter le bébé autrement ». 

Vous voyez, on est loin du Winnicott qu’on a l’habitude de nous montrer.

A partir de son travail avec ce type de patients, il a commencé à réaliser comment l’individu est totalement tributaire de son environnement. Le mot environnement est arrivé tard dans son œuvre. Car il y a cet aspect à considérer, le temps qui passe, l’expérience clinique, une pensée qui se fait plus précise. Il y a une grosse différence entre les textes qu’il a écrit au tout début, et les textes qu’il a écrit avant sa mort, enfin dans les années 60. 

L’autre point, par rapport à son œuvre, n’oubliez pas que le dernier livre qu’il a corrigé avant sa mort, c’est « Jeu et Réalité », c’est tout ce qui est paru après a été collationné, retravaillé, présenté, je pense au mieux, par sa deuxième femme et par un Trust (le Winnicott Trust) qu’elle avait fondé pour s’occuper de son œuvre, mais on ne sait pas du tout ce qu’il aurait choisi de publier ou de laisser tel quel. Par exemple, « Rien au centre » que je relisais en anglais, et aussi en français, à cause du travail d’aujourd’hui, est-ce qu’il serait allé jusqu’au bout ? Ce sont des notes. Vous savez, les gens ont trouvés dans son travail des tas de petites notes de ci de là, mais même aussi des fois des petits bouts de papier comme ça ou il griffonnait hâtivement deux ou trois choses, mais c’est ce qu’on a trouvé avec Ferenczi. Les dernières notes de Ferenczi, c’est du même ordre, c’est des petites choses comme ça annotées de ci de là, des idées qui vous passent par la tête, donc vous voyez il faut prendre les choses comme un work in process, c’est-à-dire quelque chose qui est en élaboration.

L’autre chose, et ça c’est important parce que la langue anglaise permet ce que la langue française ne permet pas ou peu, il utilisait beaucoup les –ing vous savez, les participes présents, et il avait cette idée, et ça c’est essentiel, que tout est toujours en mouvement pour l’être humain, qu’il s’agit toujours d’un Sujet qui est en advenir. Et pour cela il disait on peut commencer des analyses à un âge avancé, ça vaut encore la peine.

Sa grande idée était, qu’est-ce qui constitue le vivant humain ? Je signale la parution prochaine de Winnicott « notre contemporain », ouvrage collectif qui reprend les interventions des deux dernières Journées Winnicott à la SPF. Vous y trouverez une interview inédite en français de Clare Winnicott, la deuxième femme de Winnicott, où elle reprend tout cet historique.

Ce n’est pas vraiment anecdotique, c’est des choses que je dis depuis des années, mais c’est bien de l’entendre dit par Clare Winnicott, et en particulier ce rapport au bébé, et comment elle dit que ce ne sont pas les bébés qui l’ont enseigné, mais les patients adultes en phase de régression profonde.

Il va reprendre donc cette idée qui était déjà l’idée de Ferenczi de trauma premier, de trauma archi-originaires. On trouvait ça chez Ferenczi qui parlait des traumas qui étaient au lieu de l’originaire. Pour lui, tout empiètement dans ce qu’il va appeler à ce moment-là le going on being de l’enfant, va l’obliger à réagir au lieu d’être. Françoise Dolto nous a habitués à parler de l’allant de venant, si semblable au going on being. 

Savez-vous que jusqu’à présent Françoise Dolto n’était pas traduite en anglais ? Ca veut dire qu’elle n’est pas connue dans le monde anglo-saxon. Vous n’en revenez pas ? Et bien, moi non plus je n’en suis pas revenue. Elle citait parfois Winnicott, mais lui ne la citait jamais parce que je pense qu’il ne l’avait jamais lue. Ce n’était pas traduit, et peut-être qu’il n’avait pas un français assez bon pour la lire dans le texte.

Voilà donc c’était pour vous parler de l’allant de venant, c’est-à-dire que lui, il avait cette idée que c’est un mouvement perpétuel qui porte le sujet. Il dit au début il y a un être humain, qui vient au monde, avec un potentiel inné, avec une inscription dans les signifiants qui ont précédés sa venue au monde, du côté maternel comme du côté paternel, il est pris dans le fantasme de ses parents, par rapport à ce qu’il va être, et puis il y a lui, et ce qui va devenir un Je, ça va être un mélange de toutes ces choses avec lesquelles il va falloir négocier.

Je vous dis deux mots sur l’IWA (International Winnicott Association).

Donc l’IWA Internationale, a été créée au Brésil, à partir du Brésil parce que c’est eux qui ont été moteurs dans cette histoire-là. L’idée était de faire une association Winnicott qui soit au-dessus de toutes les écoles, de tous les pays, parce que vous savez nos histoires on les retrouves à l’étranger, il n’y a rien de nouveau. Et donc il y a dans cette IWA alors le Brésil puisque c’est ceux qui ont commencé, la France, le Portugal, les Anglais, bien sur, avec à l’heure actuelle le Winnicott Trust qui est en train de rejoindre l’IWA, les Belges, les Grecs, et les Chinois. Ça fait quand même un bel ensemble. Et l’idée étant d’échanger entre chercheurs des différents pays pour se retrouver sur quelque chose. Revenant donc du Brésil après la création de l’IWA internationale, j’ai voulu marquer quelque chose autour de la dynamique de travail qu’on avait déjà mis en place depuis 4 ou 5 ans au moins, parce que j’avais créé à partir de mon séminaire, qui a lieu tous les mois à la SPF, des groupes de travail, des groupes de lecture, des groupes cliniques, à Paris et en province, donc en particulier Dijon, il y en a aussi en Bretagne, et à Lyon. Et donc, nous avons créé l’IWA France, et aujourd’hui c’est le premier colloque IWA France qui a lieu à Dijon, et je vous signale, nous allons recommencer en 2017, nous les français nous accueillerons, parce qu’il y a eu un très grand colloque au Brésil en mai dernier, mais c’est nous qui allons accueillir le Colloque International de l’IWA, à Paris. 

Je pourrais continuer toute la journée mais je crois qu’il faut que je m’arrête pour laisser la parole à mes collègues.