Et d’abord être

Dans son article sur la Créativité et ses Origines dans l’ouvrage Jeu et Réalité, Winnicott insiste sur un point : « être avant de faire ». Autrement dit avant que le bébé puisse interagir avec le monde pensé en tant qu’entité autonome, séparé de lui encore faut-il que « lui » signifie quelque chose, autrement dit, encore faut-il que le sujet soit réellement un sujet constitué comme tel. Il existe donc une phase d’allant-devenant, comme aurait dit Françoise Dolto, qui permet la constitution d’un sujet, l’intégration, le nouage psyche-soma. Je vous propose donc à partir de Winnicott et peut-être d’autres de voir comment cette phase s’organise, qu’elles en sont les ratés et leurs conséquences. 

1- La phase non-moi

Pour le bébé des premiers temps, comme le rappelait Marie,  il n’y pas de dedans/dehors pas de moi/l’autre. Il y a des sensations qui le traversent. En effet, le bébé est d’abord un être sensoriel. Il est soumis à des stimulis : Certains sont semblables à ceux de sa vie in utéro, d’autres sont nouveaux, inhérents au passage à la vie ex utero : froid/chaud, faim, respiration aérienne par exemple. Ces sensations créent des tensions. Ces tensions sont terrifiantes (la faim c’est comme être poursuivi par une horde de chiens enragés, dit Winnicott). Quand elles sont soulagées  au bon moment, l’enfant ne sait pas encore que la sensation qu’il expérimente lors de la satisfaction, est liée à quelque chose, qui vient du dehors, au sein par exemple, si l’on parle de la faim. La tension est retombée… Point. Ce qui soulage n’est donc pas encore différent de lui : la dyade mère/enfant constitue une « situation totale » une « entité indifférenciée ». Cette entité est définie par Maurice Despinois dans un aticle « Sensation et Perception dans la Clinique psychanalytique » (in La vie Psychique du Bébé) comme l’entité « visage-sein de la mère-corps sensible du nouveau né ».  C’est-à-dire que ces 3 choses là n’en sont qu’une à ce moment. 

C’est pourquoi Winnicott dit dans La Créativité et ses origines : « Dans notre contexte immédiat, nous accordons une pleine signification au mot adaptation, la mère offrant ou n’offrant pas au petit enfant la possibilité de sentir que le sein c’est l’enfant.« … Par conséquent, et je cite toujours Winnicott:  « Ou bien la mère a un sein qui est, ce qui permet au bébé d’être ou la mère est incapable d’apporter cette contribution, auquel cas le bébé doit se développer sans la capacité d’être ou avec une capacité d’être qui semble paralysée. »

2- Réaction de la mère environnement 

Je vous propose donc d’oberver maintenant les deux situations et leurs conséquences : 

d’une part  la mère qui est le sein, d’autre part la mère qui  fait apparaître et disparaître un sein en dysynchronie avec les besoins du bébé. 

La mère qui est le sein. 

  1er temps

– Winnicott la décrit comme étant dans ce qu’il appelle « la folie maternelle primaire ». Elle s’adapte, s’ajuste, s’accorde comme on pourrait dire en musique, et, ce faisant, construit comme un utérus psychique, prolongation de l’utérus physiologique dans lequel l’infans se sent contenu et sécure. C’est ainsi qu’au début de sa vie, l’adaptation de la mère permet au bébé d’être. C’est-à-dire d’être dans ses sensations que progressivement la fonction alpha de la mère va transformer en perceptions puis en perception de soi. C’est la jeune mère parlant à son nourrisson et nommant pour lui ce qui le traverse « Oh mon pauvre choucou tu as faim, ou tu as fait pipi !» etc en même temps qu’elle le nourrit ou le change. 

– En plus ce cette fonction alpha qui est du côté du holding, du portage et de la contenance psychique,  il faut également parler du handling c’est-à-dire de la façon très concrète dont la mère porte, change, lave ou berce son enfant bref le manipule. Ces soins maternels « manuels » pourrait-on dire, font que le bébé va sentir progressivement ses propres  limites à lui et ses contours via les mains, via la rencontre avec la peau de la mère, sa chaleur,. Il accède ainsi à une première représentation de soi, à son schéma corporel. Dans la rencontre physique se dessinent les formes. 

Il faut noter que La mère good enough ou pourrait-on traduire, « quotidienne » est aussi une mère désirante qui regarde et parle son bébé, qui prend plaisir à sa fonction et qui, elle aussi, se laisse couler dans une sorte de moi/non moi où les frontières sont floues entre son espace psychique et celui de son bébé.  

Dominique Guyomard dans L’Effet Mère parle du lien qui est différent et qui précède la relation duelle « Le bébé n’est pas un objet pour la mère dans ce registre de la rencontre qu’est le lien narcissisant ». ce lien « consistutif du champ maternel qui enveloppe la mère et l’enfant permet plutôt qu’une identification première, un ancrage du lien. Ce lien est alors le lieu d’un féminin (nous y revenons) comme creux. » 

A partir de cette permière expérience de l’indifférenciation, qui est  peut-être une forme de jouissance ? peut se développer : le Narcissisme de la mère en tant que telle, et le narcissisme du bébé. 

On peut aussi dire un mot de la mère elle-même portée et assurée dans son rôle par son compagnon. C’est-à-dire que pour Winnicott le père, avant d’être le père de l’œdipe est en quelque sorte le faciliteur de la fonction maternelle. 

A près cette phase moi/non moi il y a 1 2ème temps

– Ensuite, Dans les légers décalages progressifs entre le besoin et la satisfaction; le bébé pourra halluciner le sein puis le percevoir comme différent de lui et en lien avec le visage de la mère puis comme faisant partie de la mère complète représentée en tant qu’objet. 

Ces mécanismes permettent progressivement l’intégration psyché-soma, la liaison entre sensation et représentation. 

Ce qui est intéressant c’est de voir comment cela peut se défaire, se délier dans certaines maladies comme la maladie d’Alzheimer. Et comment alors penser la relation d’aide ou de soin en terme winnicottien peut être efficient. Dans les stades avancés, il arrive en effet que la personne par exemple ne sache plus qu’elle a chaud ou froid mais qu’elle soit traversée par des sensations désagréables qu’elle n’identifie pas, mais qui la plongent dans des angoisses très archaïques, de nouveau impensées et qui peuvent entraîner des réactions qualifiées d’agressivité, ou des cris ou la fuite. Que les aidants professionnels ou familiaux aient alors en tête les références winnicottiennes de la mère « good enough » ou quotidienne peut être très soulageant pour eux comme pour le sujet âgé. Plutôt que l’incompréhension, l’angoisse  et l’impuissance, ils peuvent penser leur rôle en terme de contenant, d’ajustement. Et ça change tout car alors quelque chose du lien narcissisant peut se tisser. 

La mère qui est incapable d’apporter sa contribution. 

Maintenant regardons l’effet du sein désaccordé, celui qui n’est pas en résonnance ni en rythme avec les besoins du bébé.  Le sein arrive 

– soit trop tôt, toute créativité est alors bouché. N’existe que le désir de la mère qui recouvre le besoin du bébé et donc empêche l’émergence de son désir. Le bébé n’a pas le temps d’expérimenter le manque dans lequel se déploie l’expérience jubilatoire du créé-trouvé. Je trouve ce que j’ai halluciné matrice de toute expérience créative, c’est-à-dire joie d’être. 

– soit trop tard l’enfant est alors seul avec son impensable angoisse.  « Ces bébés portent en eux une angoisse impensable ou archaïque. Ils savent ce que c’est d’être dans une confusion aigue ou ce qu’est l’agonie d’une désintégration. Ils savent ce que signifie être laissés tombés, de tomber pour toujours ou de se cliver sur un plan psychosomatique« . 

Ils sont obligés de faire avant d’être. Faire face. Se cliver. Ce qui s’oppose au mode créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut d’être vécue, dit Winnicott c’est « une relation de complaisance soumise à la réalité extérieure. Le monde et tous ses éléments sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s’ajuster et s’adapter. La soumission entraîne chez l’individu un sentiment de futilité associé à l’idée que rien n’a d’importance. »

En fonction du moment où se sont produits les dysrythmies, la constitution psychique est différemment atteinte. Etats schizoïdes lorsque l’environnement n’est, dès le début, jamais en résonnance avec les besoins du bébé, faux self lorsque la mère cahotique s’ajuste tantôt parfaitement tantôt à contre-temps, états dits  limites, failles narcissiques, et déprivation et sa conséquence la tendance anti sociale lorsque ce qui fut bon à un moment a été retirés. Mais face à la palette des capacités d’ajustement de l’environnement qui court du trop au pas assez tous les mécanismes de défenses peuvent être convoqués.  Parmi eux, on peut trouver des situations cliniques décrites comme appartenant à la pulsion de mort : tentative de retour au niveau 0 de la pulsion pour éviter toute effraction, non liaison (psychose) ou  déliaison (quelque chose ne tient pas ou plus et cette déliaison peut être tardive). Pour Winnicott il n’y a pas de pulsion de mort au sens freudien du terme, c’est-à-dire comme s’opposant à la pusion de vie, mais un raté dans les toutes premières interactions voire un désir de mort sur le nourrison qui fait que le sujet n’advient pas. 

En conclusion on peut dire dire que sans lien narcissisant, sans ce moment de complétude première qui permet d’expérimenter ce qu’est éprouver, percevoir puis ensuite re-sentir, le sujet séparé mais en relation, ne peut  émerger. 

Il demeure dans un état entre deux… Etre ou ne pas être. Mais, comme le dit Winnicott, il peut arriver que ces personnes en souffrance poussent la porte d’un psychanalyste parce que, je cite, « Ils désirent qu’on les aide à trouver leur unité ou encore à atteindre un état d’intégration spatio temporelle où il existe vraiment un soi englobant tout, au lieu d’éléments dissociés et compartimentés ou comme dispersés et gisant épars. »

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