Discussion du texte Sur le jeu dans l’analyse

 

Laura Dethiville  (Laura) : Nous avons écouté cela avec beaucoup de plaisir. C’est extrêmement bien. Il y a des tas de questions qui peuvent se reposer.

Les gens qui ont travaillé sur le groupe « jeu et réalité » ont peut-être envie de dire des choses. On avait préparé une question par rapport à Piggle mais tu n’as pas pu lire le texte jusqu’au bout, ce n’est pas de chance.  On avait travaillé aussi sur play at dont tu parles. C’est peut-être le moment d’en parler.

Je crois que je vais être obligé de prendre la parole. On a travaillé ça jeudi soir dans un groupe de lecture de Winnicott sur Jeu et réalité et il nous semblait que cette difficulté de « Play at », j’ai regardé  dans le dictionnaire, « Play at »  c’est jouer à des jeux organisés. Nous, dans la traduction française, on a fait  la différence entre game qui est le jeu organisé et play et surtout playing. Je l’ai traduit dans mon livre par le joué (playing) mais on s’est dit au fond que j’aurai peut-être dû le traduire par le jouant.

Participant (Elisabeth) : En fait, playing  c’est un état intérieur dans lequel on se trouve lorsqu’on est en train de jouer , lorsqu’on est dans cette tonalité particulière qui permet  de jouer ; c’est à dire une disponibilité  à soi même et  une disponibilité à ce qui vient .

Laura : Et dans un espace qu’on peut qualifier de transitionnel. Ce serait plutôt l’être en train de jouer. C’est ce que dit Elsa avec l’exemple de son patient où elle dit finalement, ils étaient tous les 2 en train de jouer ; mais c’est que lui avait pu lâcher sa position de tension pour être dans cette position de détente où il ne pouvait jamais être le reste de sa vie. C’est subtil de parler du jeu dans l’analyse car il ne s’agit pas d’être à 4 pattes sur le tapis ; quoique, on peut le faire mais, avec les enfants. Alors comment on pourrait le traduire, ce playing ?

Vous, vous avez un mot pour ça, j’ai entendu.

Elsa Oliviera Dias (Elsa) et Zelgko Loparic (Zelgko) : Nous avons « brincar »

Laura : Moi, j’ai traduit par le joué, e accent aigu.

Miren Arambourou (Miren) : Cela m’a gêné dans ton livre.

Laura : Moi, j’aime bien Mais, j’aurai plus le traduire par le jouant ou l’être en train de jouer.

Souvenez-vous de Dolto, elle nous apprenait des choses comme ça : elle parlait de «allant , devenant », elle avait cette notion perpétuelle du mouvement , elle fabriquait des mots et elle cela ne l’a gêné pas du tout.

Miren : On parlait tout à l’heure de la différence entre être nourri et se nourrir … et il y a quelque chose en écho : le participe passé c’est comme si il y avait quelque chose de passif alors que essentiellement comme le dit Elisabeth, c’est cette disponibilité à ce qu’il advienne quelque chose.

Zelgko : C’est opposé à « be in a fightening  fantasy », être pris par une fantaisie c’est à dire jouer en fonction de cette soumission à une fantaisie.

Miren : C’est être joué par son propre fantasme.

Elisabeth : Il y a aussi la question qui revient dans votre texte de la concentration. Ce qui m’a fait un peu tiqué, c’est que la concentration implique un effort et cela ne me semble pas être dans l’esprit du texte. J’essaie de retrouver la phrase dans votre intervention.

Elsa : Mais vous pensez que la concentration est un effort ?

Elisabeth : En français, il y a dans la concentration la notion d’effort. Il me semble que du coup, on est un peu en décalage par rapport à la pensée de Winnicott.

Miren: C’est vrai qu’en français les instituteurs disent aux parents: «ils ne se concentrent pas ».

Laura : On pourrait traduire par rassemblement, rassemblement à soi–même. Effectivement, en français, concentration c’est trop associé à l’école.

Elsa : Nous aussi. Nous aussi mais où est ce que nous sommes lorsque nous lisons un livre ? 

Zelgko: On est concentré sur le livre.

Laura : Nous sommes dans un état de rêverie. Nous habitons  un espace.

Elsa: C’est se perdre.

Zelgko: On est pris par la lecture.

Miren: Il faut que la réalité extérieure soit stable et ne fasse pas empiètement.

Elsa: Tu ne peux pas lire si cela menace de tomber.

Participant : Lire un livre c’est quelque chose qui nous fait voyager sans qu’on bouge de notre place.

Elsa : Oui, c’est ça.

Jean-François Solal : Jouer du côté du psychanalyste. Juste un mot pour parler d’une activité qui n’est pas évidente pour le psychanalyste. Il y a des analystes qui ne savent pas jouer. Il y a des patients qui ne savent pas jouer. Il y a des analystes très déprimés. Il vaut mieux changer d’analyste à ce moment-là. L’autre activité du côté de l’analyste, beaucoup plus prestigieuse c’est interpréter. Je voulais juste faire le lien entre jouer et interpréter à propos de  Piggle. Dans la session 14, il y a une phrase très bizarre de Winnicott. Il dit « Je me suis mis à jouer avec les interprétations ». Alors, il donne des exemples de choses qu’il jette comme ça et Piggle de dire « non, pas du tout ». Il parle de jeu avec les interprétations au moment où Piggle dénie la valeur interprétative de tout cela .L’interprétation c’est quand même quelque chose qui est un peu à l’encontre du jeu car cela fixe quelque chose même si c’est dans le jeu .On fixe le sens et c’est le sens dernier ; il n’y a plus d’équivoque souvent quand l’interprétation est faite. Même si l’interprétation paraît équivoque, le patient entend quelque chose.  Il me semble que c’est intéressant de reprendre ce que Winnicott regrettait lui-même ; c’est à dire avoir fait tant d’interprétations qui ne servait à rien alors qu’il aurait pu laisser le patient jouer tout simplement. La valeur intrinsèque du jeu peut parfois suffire dans l’analyse alors même que l’interprétation vient  arrêter les choses et empêcher le jeu. C’est déjà joué. Cela peut être un bon coup ! C’est bien joué ! Le coup est parti , c’est bien joué mais c’est fini. Le playing laisse entendre que cela reste flottant. La question des interprétations flottantes est  intéressante dans la pratique de l’analyse et effectivement je pense que le jeu vient amoindrir la force et la violence de l’interprétation.

Laura : C’est pour cela que je milite contre l’interprétation mais plus pour ce que l’on peut appeler une intervention, une intervention qui se joue dans un jeu très subtil entre le vocabulaire que l’on va employer et la grammaire. Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche et fabriquer une phrase qui laisse tout ouvert ; qui permette que le jeu continue ; que le patient l’intègre s’il en a envie  et sinon, il le laisse tomber mais c’est pas grave. Alors que tu dis bien effectivement que l’interprétation peut fixer.  Alors que justement, la position de l’analyste, s’il joue, c’est justement de ne pas fixer et de laisser tout ouvert.

Miren: En français, on dit bien : « laisser du jeu ».

Laura : Je pensais à ca : le jeu entre les différentes pièces d’un moteur, cela peut vous casser un moteur mais ça permet aussi cette espèce de souplesse.

Elsa: Je veux rappeler que Winnicott dit qu’il interprète pour que le patient  sache ce qu’il est en train de comprendre.

Laura: Il dit ça à la fin de sa vie.

Elsa : Non 

Laura : Si. Il dit : « J’interprète surtout pour faire comprendre au patient les limites de ma compréhension. »

Elsa : Mais, il ne se réfère pas toujours quand il utilise le mot interprétation au contenu réprimé, refoulé.

Laura : J’aime mieux le terme intervention. Quand il dit à sa patiente, dans jeu et réalité,  au chapitre 4 : « Vous auriez trop peur qu’il vienne de moi quelque chose de bon ». Ce n’est pas une interprétation à proprement parler. Il lui dit où elle est en à ce moment-là ; vous savez cette séance où elle passe deux heures à marcher, s’asseoir … ; et seulement au bout de ses 2 heures elle commence à se rendre compte que Winnicott est dans la pièce. Et là, il peut commencer, lui, à dire des choses ; il n’a rien dit pendant 2 heures. Là, cela me paraît être de  l’ordre de l’intervention ; elle en fait ce qu’elle veut mais ce n’est pas quelque chose qui va figer le mouvement. 

Participant : Il dit là où il en est.

Zelgko : Mais, il y a d’autres choses encore. Lorsqu’il dit par exemple dans la deuxième consultation à Piggle : « I am te be the only baby ; je suis le seul enfant ; I want all the toys. Je veux tous les jouets ». C’est lui qui parle. Et Piggle : « tu as déjà tous les jouets ». Et Winnicott : « Oui, mais je veux être le seul bébé ». Et Piggle : « mais je suis le bébé aussi »

Ce genre de conversation c’est une interprétation car il se met à sa place. Car, à ce moment-là,  elle veut être le seul bébé, la condition qu’elle a perdu à cause de Suzie. J’imagine qu’il s’agit d’une identification  croisée. Il se fait porte-parole de ce qu’elle veut ou de ce qu’elle ne veut pas. Mais ce n’est pas l’interprétation de ce qui est réprimé, c’est l’interprétation de ce qui ne peut pas être vécu.

Miren : Il nomme quelque chose qu’elle éprouve sans savoir l’éprouver. Donc Il crée les conditions psychiques.

Laura : C’est ce qu’on fait dans la psychanalyse d’enfant, en général.

Zelgko : C’est l’articulation du sens, pas le sens caché, réprimé mais le sens qui n’est pas articulé suffisamment. 

Laura : Est qu’il y a d’autres remarques concernant le texte d’Elsa ? C’était extrêmement riche  mais on est pris au piège du temps. On pourra continuer ce travail lorsqu’on la recevra puisqu’on a le texte.

Miren : Je voudrais poser une question sur le texte en portugais.

Est ce que« incorporaçao » en portugais cela veut dire incorporation ou intégration ?

En lisant le texte en français, le mot  incorporation  me gênait car moi,  je pensais intégration. Et chaque fois, effectivement en portuguais, on dit « incorporaçao ».

Elsa : Winnicott utilise le terme incorporation ;  il est complètement spécifique à propos de l’élaboration imaginative et de l’existence psychosomatique.  J’ai écrit un article qui a été  publié ; le titre est « incorporation et introjection » pour faire la différence.

Il dit que le bébé fait l’incorporation et non l’introjection qui pour lui est complètement mentale et un processus intellectuel. Il dit que l’incorporation  c’est l’incorporation des soins maternels. Le bébé incorpore les soins maternels. Donc, le sens de protection c’est une incorporation. 

Miren : C’est intéressant pour les psychanalystes français car nous avions une grande psychanalyste qui s’appelait Maria Torok. Elle a écrit un article « introjection et incorporation »

Elsa : Oui. Je le connais. Le sens de Winnicott est juste le contraire.

Miren : Exactement. Je suis d’accord.

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