Etrange ce fil permanent et poisseux où se cramponne ce bébé.

La psychosomatique, corps, esprit et psyché.

Winnicott nous dit : dans son livre sur  la Nature  Humaine, livre qu’il a commencé en 1954 et travaillé jusqu’à sa mort en  1971  (Gallimard, page 23) que : « un être humain est un échantillon temporel  de la nature humaine. Prise comme un tout, la personne est physique sous un certain angle, psychologique sous  un autre.

Il y a le soma et il y a la psyché. Il y a aussi la complexité de l’inter-relation entre soma et psyché qu’organise ce que nous appelons l’esprit. » Il est sur la crête du fonctionnement du psyché soma. La psyché est la partie de la personne qui a la responsabilité des relations internes, relations au corps, relations avec le monde extérieur. »  (1)

 

Etrange ce fil permanent et poisseux où se cramponne ce bébé.

Qui ne  connaît  le fil d’Ariane, celui qui permet de trouver la sortie d’un labyrinthe sans mourir ? 

(Iliade : fille de Minos, roi de Crête descendant de Zeus et Europe. Ariane est éprise de Thésée, il doit affronter le Minautore, elle tresse un fil qui le ramènera à la sortie au lieu d’être dévoré par le Minautore) 

Je vous présente Ariane tout juste âgée de 6 mois. Elle vient me rencontrer avec un fonctionnement psycho somatique digestif  sévère.

L Dethiville, dans son livre Winnicott,  Une Nouvelle Approche nous rappelle que ce dernier  a la conviction qu’un des buts de la maladie psychosomatique est de retirer le psychisme, psyché, du mental, mind, pour le faire revenir à son association interne, primitive avec le soma, en d’autres termes de ramener la psyché à son association première avec le corps…. (2)

 

Winnicott : « On peut dire de tous les êtres humains que : lorsque les frustrations instinctuelles conduisent à un sentiment de désespoir ou de futilité, la psyché perd son ancrage dans le corps. Uns dissociation entre la psyché et le soma doit alors être supportée. Celle-ci peut atteindre n’importe quelle proportion dans la maladie. » (3)

Revenons à Ariane.

Le travailleur social me contacte devant les symptômes insistants de ce bébé et particulièrement ses vomissements permanents.

Elle me transmet des informations importantes  mais a surtout le souci de cette enfant et lui offre, en relais de la mère, un holding de grande qualité. Un  portage, qui fait référence à une tenue tant physique que psychique mais surtout psychique. 

Ariane est née d’une mère gravement malade psychiquement, qui vit en milieu fermé de psychiatrie. Le père ne l’a pas reconnue.

La naissance se serait bien passée. Cette maman ne reste que quelques jours  à la maternité, puis rentre dans son  service.

Ariane est séparée de sa mère dès la naissance  car elle se retrouve elle-même avec des soins de sevrage médicamenteux. En effet les traitements lourds de sa mère l’ont malheureusement imprégnée.

Le corps médical  dit que le sevrage a été léger. Sans  négliger  celui-ci ; de ma place, je pense surtout  que la séparation d’avec sa mère  est fort  traumatisante. Cette dernière, elle-même accompagnée,  ne peut voir son enfant que 15 minutes/jour sur ses 3 jours à la maternité.

Ariane reste en milieu hospitalier 8 jours après le départ de sa mère…. ….Seule..….puis elle part vivre dans un  foyer de l’enfance. Elle a 15 jours à peine.

Une nounou entre en scène quand elle atteint 2 mois et demi. Elles se rencontrent de manière progressive. Cette nounou se met instinctivement en position « de préoccupation maternelle primaire. » C’est une chance immense  pour Ariane….qui enfin va pouvoir bénéficier d’un environnement stable et de plus aimant.

Winnicott dit de la préoccupation maternelle primaire, qu’elle est un état spécifique, une condition psychologique…une folie maternelle. Etat qui se développe de plus en plus à la fin de la grossesse avec une hyper sensibilité, qui ne dure que quelques semaines après la naissance… Cet état organisé (qui serait une maladie, n’était la grossesse) pourrait être comparé à un repli, une dissociation, une fugue, même un trouble plus profond….Il  ne pense pas qu’il soit possible de comprendre l’attitude de la mère au tout début de la vie du nourrisson si l’on n’admet pas qu’elle soit capable d’atteindre ce stade d’hypersensibilité, presqu’une  maladie et s’en remettre ensuite. 

« Une femme doit être en bonne santé à la fois pour atteindre cet état, pour s’en guérir  quand l’enfant l’en délivre. » (4)

Cette nounou me raconte que la première fois où elle a vu Ariane, il n’y avait  aucune accroche du regard de ce bébé sur elle. Puis très vite Ariane  a planté son regard dans celui de sa nounou, première amorce d’ancrage, puis  a dormi dans ses bras, a  apprécié le bain avec elle, a hurlé chaque fois qu’elle l’habillait et se débattait  en hurlant encore plus fort lorsqu’elle lui  passait un vêtement par la tête. 

Moi j’imagine, malgré ce qui m’a été dit, qu’elle a dû avoir une naissance difficile. Je saurai très rapidement, via son carnet de santé,  qu’elle est née avec des forceps car elle est venue au monde en étant un gros bébé.

Du haut de ses 3 mois et demi Ariane part vivre chez sa nounou. Cette dernière me dit qu’elle vomit partout tout le temps, (ce qui était déjà présent au foyer) qu’elle est allergique au lait de vache et a donc un lait de substitution, qu’elle a des douleurs abdominales, qu’elle a des selles noires liquides et nauséabondes mais que curieusement sa croissance est tout à fait normale.   Etrange !

1ère rencontre.  

Ariane, 6 mois est assise sur les genoux de sa nounou face à moi. 

J’ai  pris soin de mettre une grande serviette éponge sur un des deux fauteuils vu le symptôme  envahissant de vomissement. J’ai  tenu  à respecter ce symptôme,  soit  sa parole de bébé, mais j’ai aussi imaginé  les traces réelles qu’elle risquait de laisser  et je devais protéger mes autres patients pour  leur proposer un fauteuil  accueillant. 

Ariane me fixe d’un regard bien droit et babille tout en laissant couler abondamment  cette curieuse salive; elle communique avec des lallations, des jouets qu’elle tient avec ses deux mains ou saisit si je lui tends. Elle regarde autour d’elle dans un cercle restreint délimité par  sa nounou, son travailleur social présent pour cette 1ere prise de contact et moi même.

Surprise : Ariane ne vomit pas !! 

Enfin c’est mon impression, car  le vomissement est un rejet actif par la bouche du contenu de l’estomac.  Ce n’est pas ce que je vois de prime abord.

Elle ne fait aucun effort mais laisse couler un gros filet blanc, poisseux, permanent de sa bouche, il coule sur son thorax, son abdomen, ses jambes puis sur celles de sa nounou, sur le pull et les bras de celle-ci et ce qui était prévu sur le fauteuil et sur le sol.

La nounou dit : j’en ai partout tout le temps, et elle essuie avec un bavoir. Cela n’a l’air de tracasser ni l’une ni l’autre.

Cette petite fille est  poisseuse et fort  odorante mais nullement troublée. Elle se montre  tranquille sur les genoux, porte les jouets à la bouche et les badigeonne de ce liquide collant. Elle ne semble pas gênée par cela, comme si cela  faisait partie d’elle même.

Un fil, qui semble accrocher bien loin dans son intérieur sort par sa bouche, s’épand,   mais se perd… Il se renouvelle en  permanence. 

Alors me traverse une évidence ! C’est un cordon ombilical ! C’est une rupture dans sa continuité d’existence !

Vient-elle me parler de cela ? 

Vient elle me dire que son cordon ombilical, 1ère attache  au corps de  sa mère a été amputée? 

Sa psyché reviendrait- elle à cette origine là via un corps malmené par ce  fil permanent débordant et accroché à l’intérieur  de son corps ? 

Winnicott nous dit : 

« Pour moi, le traumatisme de la naissance est l’interruption dans le fil de la continuité d’être de l’enfant. » (Going on being) (5)

 

Vient-elle me dire que le traumatisme de sa naissance a blessé sa continuité d’existence et que celle-ci a été troublée par un environnement défaillant au vu des circonstances ?

Winnicott précise: « Quand un défaut de l’environnement, vient troubler la continuité d’existence du bébé, cela  empiète sur le psyché soma. Le nourrisson  est donc obligé de réagir et un excès de réactions représente une menace d’annihilation. C’est  une angoisse primitive très réelle, bien antérieure  à toute angoisse qui  inclut le mot de mort dans sa description.. » (6)

Je  parle à Ariane. Elle me fixe d’un regard très intense dans un temps que je nommerai suspendu. Je lui redonne le peu que je connaisse du fil de son histoire : une maman qui l’a porté et l’a mis au monde, une maman très malade ;  une maladie plus forte que l’amour qu’elle a pour elle, une maman qui ne peut pas la faire grandir, un papa qui ne l’a pas reconnu, et une nounou qui sera comme une maman.

Je lui dis aussi qu’elle a été  courageuse pour  vivre. 

En mon fort intérieur,  je pense que cette force  vient de son principe vital et inné de nouveau né.

Winnicott nous dit : Un principe vital existe chez chaque bébé, une étincelle de vie. Cette poussée vers la vie, vers la croissance et le développement fait partie du bébé. Il s’agit d’un élément avec lequel l’enfant naît et cet élément évolue d’une manière que nous n’avons pas à comprendre. (7)

J’ajoute qu’elle peut se laisser porter par ceux qui s’occupent d’elle, qu’elle ne sera plus jamais toute seule, car j’imagine cette solitude  ressentie lors de  son hospitalisation des 1ers jours de vie. 

Je lui dis  que je vais essayer de me mettre en contact avec des  personnes pour avoir des nouvelles de sa maman et …voir s’il est possible qu’elles se retrouvent.

Durant ce 1er entretien, la nounou me révèle également  qu’Ariane a été à nouveau  hospitalisée quelques jours ; environ  3 semaines après son arrivée chez elle. Les symptômes étaient persistants avec tendance à l’aggravation du  fonctionnement du tube digestif. Se manifestaient  anormalement, la digestion,  l’absorption, et  l’excrétion ; ce qui se passe  au milieu du corps. (8)

A l’hôpital elle s’est  retrouvée  sous morphine. En entendant cela j’ai été  confortée dans ce qui m’avait  déjà traversé : elle demande sa mère, elle le dit en ayant  besoin de retrouver des médicaments et pas anodins dans son corps, ce qu’elle a connu in utero, ressentir  cela c’est retrouvé le corps de sa mère. (Mémoire corporelle)

Le service médical n’a  rien  détecté  de grave ;  elle est rentrée à la maison sans aucun changement de traitement, elle a continué de « vomir »  ce qui a entraîné les rendez vous auprès de  moi.

J’avais devant moi, dès cette 1ere séance toutes les données  pour conduire mon travail.

Apres ce 1er  rdv où  Ariane a laissé une odeur aigrelette dans mon bureau, et des traces collantes qui n’ont pas épargné le coussin du fauteuil lors  de son passage ; je me suis dit qu’il fallait que je lui permette d’aller au bout de son expérience avec ses symptômes  et j’ai pour le rdv suivant préparé du matériel adéquat : un grand tapis de mousse enveloppé d’une alèze, une housse lavable, des coussins pour bien la caler.(9)

2ème rencontre.

Sa nounou me dit qu’il y a eu 2 jours d’aggravation la dernière fois  mais surtout beaucoup de  larmes et un  refus de quitter les bras. Elle pleurait  beaucoup, pas comme d’habitude. 

Cependant une nouveauté s’est installée, elle « mange  »  sa nounou en lui plaquant sa bouche plus qu’humide sur sa joue. Joie partagée. Je pense qu’elle mange du bon pour  son monde intérieur et va l’intégrer. (Avant le temps de l’intégration, il y  a le temps de non intégration, que l’on peut retrouver quand on est dans un état de détente complet) (10)

Ce  jour là Ariane joue sur le tapis ravie d’être libre de ses mouvements ; elle a toujours son fil poisseux et collant permanent. Elle attrape les jouets qui l’intéressent soit calée dans les coussins soit en glissant sur le côté ou le ventre. Elle râle si elle n’y arrive pas. Son regard va de l’une à l’autre. Elle est paisible et tranquille. Elle me montre qu’elle  peut quitter les bras de sa nounou, ce qu’elle n’avait pas fait ou très peu ces derniers jours.

 

3ème rencontre.

Je découvre qu’après la  dernière  séance elle a crié durant 2 jours ; un  crier différent du pleurer venu après la 1ère séance. Ce cri était comme une colère, c’est ainsi que l’a entendu sa nounou. Le cri s’est   arrêté quand sa nounou lui a dit : « Même si tu vois ta maman tu restes avec moi. » Après ces quelques mots  Ariane  avait dormi.

Je reprends et  dis  à Ariane très attentive: « Je me demande si tu n’utilises pas le cri comme le lait continu que tu laisses sortir de ta bouche, pour nous dire que c’est pour  empêcher ta maman de disparaître que ton corps fait cela ». 

Ses grands yeux bien ouverts me fixent et elle continue allègrement à mettre en bouche les objets qu’elle enrobe à sa façon.

Le fil poisseux, le cri continu… un curieux fil  qui serait  lien d’attache entre ces deux là ?

  

Sa nounou me glisse avant de partir que la mère de ce bébé a hurlé quand on l’a séparée de sa fille. Moi : « Tu entends ce que dit nounou ;  maman a crié quand vous avez été séparée, c’était un moment bien difficile pour vous deux.» Elle me regarde très attentive.

De ma place, entre toutes ces premières séances, je m’active à mettre en place du  management,  de la gestion pour la cure de cette enfant…,  des appels téléphoniques ;  du lien. Je souhaite que la mère me rencontre et le travailleur social qui est le pivot entre tous les partenaires s’occupe des démarches pour que la mère puisse sortir du service fermé où elle est. 

Ceci n’est pas une mince affaire. 

Ariane  7 mois1/2,  1 mois et demi après le 1er rdv.

Sa mère vient me rencontrer accompagnée d’une infirmière qui a beaucoup de mal à la laisser seule avec moi (pour consignes de sécurité). Je ne cède pas tout en ne connaissant rien de la pathologie de cette femme.

Cette maman est toute tassée par les traitements et assez confuse dans ses propos, mais très vivante pour parler de sa fille qu’elle ne connaît que de l’avoir porté 9 mois , d’avoir partagé 3 fois 15 minutes avec elle, et de penser à elle.

Je prends du temps pour l’écouter dans sa propre douleur. Elle évoque, datant d’un grand nombre  d’années  le décès d’un proche par mort violente ; proche  important pour elle. 

« Je suis dépressive« , dit-elle ! 

Après cela elle peut se laisser aller à  pleurer … sur sa maladie…sur elle-même…sur le fait qu’elle n’élèvera pas Ariane, pas plus que  son enfant ainé qui grandit auprès de sa famille  et qu’elle voit quand elle est mieux lors de permissions momentanées ou de visites. 

Elle me pose des questions sur son bébé : « Elle est jolie ? Elle dort bien ? Elle mange bien ? » 

Elle me dit : « Est ce qu’elle me demande ?? « 

Moi doucement : « Pas avec des mots, elle est trop petite, elle ne sait pas parler mais  elle le fait très bien comprendre autrement. » La mère ne rebondit pas sur ma réponse. 

Elle me parle de sa grossesse, bonne mais fatigante, elle ne pouvait plus marcher, elle était souvent allongée mais l’accouchement s’est bien passé, vite selon elle avec une péridurale Ariane  a crié tout  de suite. Elle me donne le poids de son  bébé, poids qui n’est pas celui de la réalité du carnet de santé ;  mais c’est  sa réalité à elle et je la reçois comme telle, soit une naissance qui s’est bien passée, un bébé qui a crié de suite et d’un poids plus beaucoup plus petit qu’en réalité. Je pense et n’en dis rien que cela  laisse sous  silence les forceps comme si cela n’avait pas eu  lieu pour elle ni  par voie de conséquence pour Ariane.

Me dit que le prénom de princesse de sa fille a été choisi par le père de son enfant, et qu’elle n’a plus aucun lien avec lui. J’entends que ce père dont elle parle sans animosité  a une place pour elle et donc pour Ariane.

Durant l’entretien, elle se saisit d’un doudou dans ma caisse à jouets et me demande si elle peut le prendre pour le donner à sa fille. Ajoute qu’elle n’a jamais donné de biberon à son bébé et que c’est l’infirmière qui l’a fait. Redit  qu’elle n’a vu son bébé que 3 fois 15 minutes, qu’elle est retournée à l’hôpital et n’a jamais revu Ariane.

Me dit qu’elle voudrait  voir sa fille, qu’elle ne sait pas comment faire.

J’invite l’infirmière à nous rejoindre et la mère exprime ses souhaits. Une élaboration commune  naît.  L’infirmière affirme  à  la maman qu’elle l’accompagnera  pour qu’elle achète un doudou à son bébé. Moi je m’engage à contacter le travailleur social pour  un avenir autre –ou  non-  entre la mère et son bébé. 

 

Ariane 8  mois.

J’ai oublié de vous dire que  le fil poisseux a complètement disparu depuis quelque temps et que les cris se sont beaucoup  atténués. Des contrôles médicaux  viennent d’avoir lieu, elle  n’a pas d’allergie au lait de vache, il est réintroduit avec un début d’alimentation variée.

L’appareil digestif d’Ariane a retrouvé un circuit normal. Il faut dire qu’elle ne se prive pas de manger sa nounou ! Et elle sait qu’une rencontre avec sa mère se prépare.

La psyché  renoue avec le soma, son  monde interne se modifie.

Ariane 9 mois 

Première  visite à sa mère.  

En amont de cette rencontre, le travailleur social et moi travaillons sur la construction psychique  d’un  bébé. Je tiens  à que le temps et le rythme d’Ariane soient respectés. Il faut que cette enfant  puisse elle-même faire le mouvement d’aller à la rencontre de sa mère. 

Il n’est pas question d’empiéter davantage son self. (11)

C’est un gros pari que d’entraîner cette maman à ne pas « se jeter  »  sur son bébé dès la première visite car elle est dans une grande impatience bien légitime pour revoir sa fille qui est, pour elle, le nouveau né de la maternité.

L’infirmière référente  de la maman, en lien constant avec le travailleur social  se prépare elle-même à être  en position de bon environnement dans l’après-coup de  cette visite et pour de futures autres.

Ariane et sa mère

Ariane est passée des bras de sa nounou à ceux  du travailleur social pour cette rencontre qui a lieu dans une salle du service où est sa maman.

La maman, bien préparée, a accepté d’aller tout doucement à la rencontre de sa fille, a accepté de ne pas la prendre sans lui  laisser le temps d’aller à son propre rythme pour ses retrouvailles : au travers de la voix, du  regard  et de l’émotion que la maman a laissé jaillir.

Alors Ariane, en sécurité et sans doute en confiance a tendu son petit bras vers sa mère pour toucher de sa main le visage de celle-ci.

La visite a duré 5 minutes. 

Sur le chemin du  retour en voiture avec sa nounou ; Ariane a gardé dans ses mains le doudou donné par sa maman qui par ailleurs lui avait acheté un body à bonne taille. Via son inconscient cette mère  a offert à Ariane une enveloppe, un contenant, une peau… que ce bébé a donc reçue de sa maman ! 

Winnicott nous dit : « La peau est à l’évidence universellement importante dans le processus de localisation exacte de la psyché dans le corps. » (12)

En après coup, j’ai su que la maman avait  beaucoup pleuré, qu’elle n’avait  pas pris sa fille dans ses bras, qu’elle  était  retournée dans son service avec la promesse d’une nouvelle rencontre prochainement.

Je n’étais pas présente physiquement pour cette rencontre  mais mon esprit  l’était bien  autrement ; je me demandais  ce que pourrait être la réaction d’Ariane, mais aussi celle de sa maman. Je portais tout cela à distance. J’ai su par le travailleur social que ce temps là était rempli d’une grande d’émotion pour tous ceux présents dans  ce moment très fort.

Le temps d’autres visites s’est ensuite organisé à un rythme plus ou moins  régulier en fonction de la santé bien fluctuante de la mère. Le compte rendu m’a été relaté chaque fois et Ariane baignée dans les mots de sa nounou, dans ceux de son travailleur social et dans cet environnement des plus favorable  s’en est débrouillée.

Ariane 10 mois 

Ariane joue sur le tapis de la salle d’attente quand je viens la chercher.  Etonnante !

Elle lâche son jouet et file directement à 4 pattes dans le couloir qui conduit à mon bureau.

Je suis derrière elle, amusée et surprise par sa détermination, elle s’assure cependant par un coup d’œil en arrière que sa nounou suit bien. Elle avance vite, va sur le tapis et directement vers  mon panier où sont déposés les dossiers des patients du jour. Elle touche la pochette rouge, la sienne. Je ne pensais pas qu’elle l’avait repéré au milieu des autres car je l’avais très rarement sortie devant elle, juste de loin en loin  pour noter des informations  importantes en lui disant ce que je faisais. 

Tu es en train de me dire que tu es prête pour que nous parlions de toi.

Pendant les séances ; souvent, je me contente d’écouter  ou de reprendre  les mots de sa nounou. J’essaie surtout d’être présente le mieux possible en la laissant découvrir « le monde », le sien.

Elle va d’un jeu à l’autre, elle déambule partout à quatre pattes, s’active selon ses 10 mois. Elle est joyeuse dans la découverte de son autonomie motrice. Elle sait s’opposer vivement si elle rencontre de mini frustrations. Quand elle estime que c’est la fin de la séance qui dure environ 20 minutes, elle se dirige toujours à quatre pattes vers la porte, regarde la poignée et attend.

Je lui dis que je suis d’accord que l’on arête et sa nounou la prend dans les bras pour partir. 

Ariane : 1 an

Son évolution est normale. Elle marche. J’apprends qu’elle tend les bras à sa mère, quand elle la rencontre  en visite. Avec sa dînette elle joue à  donner à manger à l’un, à l’autre. C’est vraiment un jeu très structurant pour elle, mettre dedans au lieu de laisser « filer » sans cesse au  dehors. Elle vide et remplit maladroitement des boîtes, le dedans /dehors, le me/ not me. (13)

Elle commence à être, selon les descriptions que fait sa nounou en capacité d’être seule. 

Il s’agit de l’expérience d’être seul, en tant que nourrisson et petit enfant, en présence de la mère. Le fondement de la capacité d’être seul est donc un paradoxe puisque c’est l’expérience d’être seul en présence de quelqu’un d’autre. (14)

Depuis Ariane a bien grandi. Je sais qu’elle peut s’asseoir  sur les genoux de sa mère, je sais aussi  qu’il faut beaucoup guider cette mère démunie pour jouer avec son bébé. Mais le plaisir partagé est là entre elles deux.  Je sais que les visites durent environ 20/30 minutes.

Ariane  continue sa vie d’enfant. J’ai des nouvelles de loin en loin par son travailleur social

La garderie, l’école n’ont plus de secrets pour elle. Elle  ne vient plus en consultations car l’environnement la concernant  est bien adapté. Son travailleur social, très investi, toujours en position de pivot, continue de tisser les liens pour Ariane et sa  mère avec ceux qui les entourent. 

Ariane est venue durant 26 en séances. Les premières étaient hebdomadaires, sur une durée de quatre  mois et se sont de plus en plus écartées. Total de la cure 2 ans.

La traversée  de son début de vie lui laisse un caractère bien trempé et bien légitime.

Pour vivre, elle s’est appuyée sur son principe vital et inné de nourrisson, sur ce qui s’était inscrit corporellement, dès l’origine,  un lien  entre elle et sa mère !  Elle s’est appuyée sur le portage de holding du travailleur social, sur la préoccupation maternelle primaire de sa nounou, sur l’environnement quotidien continu qu’elle lui a offert pour ne pas sombrer. 

En ma présence, Ariane  a su  faire entendre ses souffrances cachées. Elle a montré ce fil permanent, « cordon ombilical » prenant racine dans son estomac voir plus loin dans le tube digestif (un peu comme un recto verso) ; un dedans /dehors ;  fil sortant  par sa bouche devenue fantasmatiquement un ombilic.  Elle a mobilisé chacun pour que cette dérive psychosomatique cède afin de retrouver le chemin symbolique d’attache à sa mère.

Elle  a bousculé les uns les autres pour garder sa continuité d’existence ; sortir du labyrinthe un peu collant  où elle s’était engluée  depuis  sa  naissance. 

Elle a enfin renoué avec sa mère ; première à la porter psychiquement ; mère elle-même soumise au désir de rencontrer sa fille au prénom de princesse.

Ariane est venue me chercher au travers de mon corps.  

Je n’avais pas d’autres choix que de m’appuyer sur mes profondes sensations, situées principalement dans le ventre. Les mots  sont venus en 2ème temps après le ressenti avec  des associations spontanées qui ont jailli et  se sont imposées  à mon esprit. 

Mon esprit ! Mais où donc  se logeait-il durant les rencontres  avec elle ? 

Cela reste et restera  une énigme. 

Je ne développerai pas la partie de l’esprit, cependant  Winnicott nous dit que l’esprit est une partie spécialisée  de la psyché qui n’est pas nécessairement lié au corps, sauf en ce qu’il dépend du fonctionnement du cerveau. Accordons nous le fantasme de l’existence  d’un lieu que nous appelons esprit où travaille l’intellect. Le cerveau lui-même ne sert pas à situer l’esprit en imagination car nous n’avons pas conscience de son fonctionnement. Il fonctionne silencieusement et ne cherche pas à être reconnu. (15)

Pour éclairer tout ce propos avec un peu de légèreté je vous cite quelques lignes d’un roman léger et cocasse acheté en gare quand la Sncf vous joue des tours. 

Le titre : Le jour où j’ai appris à vivre ;  de Laurent Gounelle ed. Pocket.

Un extrait de dialogue entre une femme biologiste et son neveu un peu perdu dans la vie :

 » Elle : Ecoute ton cœur ! 

 Lui : C’est bizarre cette expression populaire dénuée de sens dans la bouche du   biologiste.

*Elle : Détrompe-toi ! C’est le cœur qui décide. Dans notre société on est  tellement pris  

par l’esprit que l’on se coupe du corps. On ne valorise que le cerveau. C’est ridicule.  Surtout que l’on a aussi des neurones dans le cœur et aussi dans les intestins. D’ailleurs personne n’en parle ! Les bonnes décisions viennent du cœur ou des tripes. Pas de la tête.

Dans l’Egypte ancienne on l’avait bien compris. Avant de momifier le corps d’un pharaon, les Egyptiens extrayaient de son corps les viscères, ne conservaient que celles qui avaient de l’importance dans de somptueux vases destinés à être enterrés avec la momie.

C’était le cas du cœur et des intestins. Après une pause elle ajoute :

    Le cerveau ils le jetaient à la poubelle ! »  

Elisabeth Mercey.

(1)Winnicott : La Nature Humaine, ed. Gallimard, p 44  chap 4 :   Le Champ psychosomatique.

(2) Laura Dethiville : Winnicott :  Une Nouvelle Approche, ed. Campagne Première p154 à 157  chap 8 : La Maladie psychosomatique et la communication.

(3) Winnicott Ibid, p 160 chap 3: La Psyché résidant dans le corps.  

(4) Winnicott De la Pédiatrie à la psychanalyse, ed.Payot, p 287  : La Préoccupation maternelle primaire.

(5) Winnicott Ibid, p 289 : La Préoccupation maternelle primaire

(6) Winnicott : La Nature Humaine,  p 173, chap 5 : Un état primaire de l’Etre : Solitude primordiale.

(7) Winnicott : L’enfant et sa famille p 26 .

(8) Winnicott : Ibid ;  ch 4.5.6: L’allaitement ; Où va la nourriture? ;  La Fin du processus de digestion

(9)Winnicott : De la Pédiatrie à la Psychanalyse  p53.  L’Observation des jeunes enfants dans une situation établie

(10) Winnicott:  La Nature Humaine, p 158, chap. 2 : Intégration.  

(11) Winnicott Ibid, p 171, Chap 5 : Un Etat primaire de l’être

(12) Winnicott Ibidp 160 chap 3 :  La Psyché résidant dans le corps.

(13) Winnicott : Jeu et Réalité, chap 1 : Objets et Phénomènes transitionnels.

(14) Winnicott : De la Pédiatrie à la Psychanalyse ; p 325 :  La Capacité d’être seul. 

(15) Winnicott La Nature Humaine, p 75, chap 2.: Le Concept de santé à la lumière des pulsions.  

Posted in 3 ème Journée d’étude nationale à Lyon 2018.