Intervention de Seljko Loparic lors de la matinée du 28/06/2014

On s’est dit, il y a quelque temps déjà, c’est le moment de joindre tous les groupes qui travaillent Winnicott dans le monde entier dans une association. J’ai reçu il y a un mois à peu près un e-mail de la présidente du Winnicott Trust, Angela Joyce, qui me dit : « nous voudrions bien entrer en contact avec vous et collaborer ». Le trust, c’est un organe de la British Psychoanalytic Society qui est en charge de l’édition des œuvres complètes de Winnicott qui devrait sortir l’année prochaine à l’Oxford University Press.

C’est un signe du temps que la British, le trust, s’adresse à nous autres, qui ne sommes même pas de l’IPA, et qui avons fondé une Association Winnicott pour promouvoir les idées de Winnicott. Promouvoir, cela veut dire favoriser, faciliter les études, les publications, l’enseignement, la divulgation des idées de Winnicott. Ce n’est pas une église, ce n’est pas un ghetto, c’est une société autour d’un grand auteur de la psychanalyse.

Au Brésil, on est plus ambitieux qu’ailleurs, on fait même une formation Winnicott. On s’est dit : s’il y a une psychanalyse winnicottienne, si on peut parler d’une psychanalyse winnicottienne – et je vais essayer de vous montrer sur le cas Piggle que c’est le cas – on peut faire une école winnicottienne de psychanalyse, et on peut l’enseigner ; c’est ce qu’on a fait, on a un programme de quatre ans de formation, une partie théorique, une partie clinique, une partie de supervision… Tout ça, ça prend quatre ans. Et même –c’est le signe du temps – on enseigne par e-mail et par internet. Il y a des programmes de télécours, téléconférences et on a des élèves au Portugal et ailleurs qui nous suivent dans ce cours.

Cette année ci à l’invitation de quelques psychiatres chinois de Pékin, suivant les travaux déjà antérieurs de Laura à Shanghaï, on a commencé une formation en psychanalyse winnicottienne à Pékin, dans le principal hôpital psychiatrique de Pékin. C’est sur leur initiative. Ils se sont dits : il y a des cours de formation en Freud, en Lacan, en Jung, en Klein, il nous faudrait tout de même Winnicott. Alors ils nous ont invités et on l’a fait : on a fondé une formation sino-brésilienne de Winnicott à Pékin. On y va deux fois par an. Laura va faire de même.

Laura Dethiville : moi je le fais déjà, à Shanghaï, vous le savez tous, j’en ai parlé dans mes séminaires…et je crois que c’est très important. Mon livre est en train d’être traduit en chinois – on y passe des heures parce que traduire les idées de la psychanalyse en chinois n’est pas facile, ce sont des notions qui n’existent même pas dans leur tête, il faut inventer des mots… Traduire Winnicott en chinois, et traduire Laura Dethiville en chinois, parce que j’ai aussi mes expressions à moi, ça leur prend effectivement énormément de travail.

Seljko Loparic : Je vais vous parler de Piggle. Piggle fait partie de notre enseignement, pour un semestre : on n’étudie que cela pendant trois à quatre mois, session par session. Quelle est la perspective ? Nous présentons Winnicott comme une psychanalyse à part, comme un développement de la psychanalyse, plutôt. Quelqu’un qui a fait progresser la psychanalyse. Pour cela il a dû changer la psychanalyse et ce changement concerne les question théoriques, et aussi les cas exemplaires, les cas qu’on utilise pour enseigner la psychanalyse, pour l’illustrer. On utilise les cas pour enseigner et aussi, évidemment, dans le traitement. On s’inspire des cas winnicottiens comme on s’inspirait des cas freudiens, pour résoudre les problèmes de type winnicottien. Ces problèmes de type winnicottien ne sont plus les mêmes que les problèmes de type freudien. C’est ça l’idée, d’où l’importance d’étudier les cas de Winnicott dans le cadre de notre formation.

Nous étudions Winnicott selon le modèle de l’histoire de la science empirique selon la théorie de Kuhn. Kuhn est un historien des sciences qui a proposé l’idée qu’une science se développe par une recherche, une recherche révolutionnaire quand la recherche normale, comme il dit, entre en crise. Et cela se passe toujours. Dans l’histoire de la science, il y a des périodes de recherche normale, puis la recherche normale entre en crise et il y a des problèmes qui s’accumulent qui ne sont pas résolus, et pour résoudre ces problèmes les nouvelles générations se mettent à faire une recherche révolutionnaire, changer le paradigme, le cadre pour formuler et pour résoudre le problème. Ils changent la théorie et commencent à résoudre de nouveaux problèmes. En général les anciens problèmes ne sont plus les problèmes exemplaires ; les problèmes exemplaires, ce sont de nouveaux problèmes.

On s’est dit, en appliquant ça, que chez Freud, évidemment, il semble que le problème principal c’est l’œdipe, et chez Winnicott, l’œdipe n’est pas le problème principal ; si vous enseignez la psychanalyse winnicottienne, il ne faut pas commencer par enseigner ce qui se passe dans l’institution œdipienne : la répression (refoulement) ce n’est pas par où vous allez enseigner la psychanalyse winnicottienne. La petite Piggle, son problème n’est pas œdipien, c’est un problème plutôt avec la mère qui devient dépressive et ne sait pas quoi faire avec une fille qui a un an 9 mois quand elle a une sœur.

Le problème c’est plutôt la mère qui a des difficultés avec la situation qui s’est crée. La mère est entrée en… enfin elle était devenue très tendue… Dès à la deuxième session, la mère écrit à Winnicott : « J’aimerais vous dire, bien qu’il se peut que vous le sachiez, (évidemment, il le savait) à quel point vous écrire m’a aidée. »

Elle accompagne la psychanalyse de sa fille. La maison de Piggle est devenue un hôpital mental, comme dit Winnicott à la troisième session. C’est devenu un nouveau genre de « psychanalyse partagée » : la mère et le père faisaient partie du setting amplifié de la psychanalyse. C’est un grand changement, c’est clair. Dans la psychanalyse orthodoxe, ça vous ne l’avez pas. Donc la mère suivait le progrès de sa fille et la mère profitait de la psychanalyse de sa fille pour être psychanalysée elle même, dans un certain sens.

Voilà ce qu’elle écrit à Winnicott : « … Vous écrire (sur ma fille) m’a aidée (elle, la mère). En quelque sorte donné forme à mes perplexités et à mes craintes en étant assurée qu’elles seraient reçues avec la plus grande compréhension (Pas d’interprétation : compréhension) et aussi le sentiment d’être en relation avec vous. Je suis sûre que tout cela m’a aidée à dépasser nos angoisses à propos de Gabrielle et à retrouver une bonne relation avec elle. Mes angoisses étaient très intenses au moment de la naissance de Suzanne (Suzanne, c’est la sœur de Piggle). Je ne sais pas si je vous ai dit que j’ai un frère que j’ai très mal pris, qui est né alors que j’avais à peu près le même âge que Gabrielle quand Suzanne est née. »

La mère de Piggle avait donc un problème avec son père ou avec son frère mais aussi avec sa mère : j’explique l’étiologie du cas Piggle non pas par l’œdipe mais par le problème de la mère à traiter les deux filles. Piggle, qu’elle a traitée très bien jusqu’à la naissance de Suzanne, et à la naissance de Suzanne, qui est-ce qui entre en crise ? C’est la mère de Piggle. Et à ce moment là, Piggle perd l’environnement dont elle dépendait. Jusqu’à ce moment là, elle était une fille très saine, sans problème.

Vous voyez que ce n’est pas un cas œdipien. Le rapport avec sa mère n’est pas un cas œdipien. Donc si vous enseignez Winnicott, ne commencez pas par l’œdipe, s’il vous plaît; commencez par d’autres cas, par exemple Piggle, ou alors un cas tout à fait classique, le cas de Holding and Interpretation

Laura Dethiville : Fragment d’une analyse

Seljko Loparic : …Le cas B … Winnicott le dit expressément, il n’y a pas de matériel au commencement, il n’y a aucun matériel œdipien chez ce patient. Les cas exemplaires, les cas de Winnicott, c’est intéressant, pour illustrer le changement théorique qu’il a produit dans la psychanalyse, le changement théorique qui fait que sa psychanalyse n’est pas centrée sur l’œdipe et que les autres cas prennent le pas de ce cas exemplaire freudien, les problèmes changent : c’est comme en physique, on n’a pas les problèmes de l’Antiquité, on a les problèmes d’aujourd’hui ; Les problèmes changent au cours du développement de la science, et en plus la théorie change.

Pour comprendre la théorie winnicottienne, on dit qu’il nous faut une nouvelle théorie générale des cas. Au Brésil, on l’a reconstruite, ça s’appelle la théorie de la maturation. Chez Freud, la théorie de base, la référence pour comprendre tous les cas œdipiens, c’est la théorie de la sexualité. Chez Winnicott, la théorie de base sur le fond de laquelle vous allez comprendre les cas non œdipiens et aussi les cas œdipiens, c’est la théorie de la maturation : pour être un œdipe, il faut être mûr, avoir la maturité d’entrer dans la relation triangulaire à base génitale, de pouvoir rivaliser, de pouvoir être ambigu, ambivalent, au point d’aimer et de détester le père ou la mère : tout cela ce sont des acquisitions de la maturation qu’un bébé n’a pas. Même pas un enfant tout au commencement. Piggle par exemple a du mal à détester sa mère. Elle la hait parce qu’elle a été abandonnée dans un certain sens par la mère. Mais elle ne peut pas la haïr tout à fait, elle ne peut pas intégrer sa haine de la mère, donc elle projette cette haine sur la « mère noire » qui la poursuit. C’est une projection, c’est un phénomène que Klein a déjà décrit à sa façon. C’est le rapport d’ambivalence qui est en jeu, mais pas un problème d’ambivalence au sens génital. C’est l’ambivalence qui est en relation avec l’amour de la mère, l’amour de la dépendance d’un côté et la haine parce que cette dépendance n’a pas été reçue, accueillie.

La mère n’a pas été capable, à partir d’un certain moment, de la naissance de Suzy, de s’occuper de Piggle en tant qu’un enfant dépendant d’elle; c’est la dépendance qui est en échec et pas la jalousie, le conflit autour du père. Ce n’est pas un cas œdipien. C’est un cas qu’il faut situer dans la période de la maturation de Piggle que Winnicott appelle « state of concern ». C’est le moment où l’enfant apprend à être ambivalent, à aimer et à détester, à aimer et haïr la mère dont il dépend, l’enfant. C’est avant l’œdipe, sincèrement avant l’œdipe c’est la position dépressive chez Klein, refaite par Winnicott…

Laura Dethiville : déplacée, plutôt …

Seljko Loparic : Déplacée… Un enfant ne peut pas entrer dans l’œdipe s’il n’est pas passé par cette phase de « state of concern ». Ce que je suggère en plus, c’est que les étapes, les périodes du développement sexuel qui ont été développées par Abraham et reprises par Klein ne correspondent pas aux étapes de développement de maturation de Winnicott.

Chez Winnicott, il y a cette étape de « concern » (sollicitude)… Et il y a d’autres étapes qui sont avant…. Il y a l’étape « je suis » qui ne se trouve ni chez Freud, ni chez Klein. C’est une étape où l’individu crée son unité. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’à partir de ce moment là c’est lui qui produit les mouvements excités, les moments d’excitation, c’est lui qui est excité, il y a quelqu’un, il y a une adresse pour ces excitations, et puis ces excitations se dirigent vers le non-moi : il y a le moi et le non-moi, I and not-I, c’est un moi qui n’est pas lacanien, qui n’est pas freudien, ce n’est pas le Ich freudien, qui est une instance psychique, parce que ce moi est créé, ce n’est pas une instance, c’est plutôt une unité, une unité de fonctionnement. Ça, c’est une étape qui n’existe pas dans la théorie traditionnelle de l’histoire des modifications de la libido.

Alors quand on parle de la théorie de la maturation, on parle d’autres étapes du développement sur le fond desquelles on analyse les cas. Dans le cas de Piggle, on l’analyse ni à la lumière de l’œdipe, ni à la lumière des étapes avant l’étape du concern : il faut la situer au moment où le bébé, l’enfant acquière la capacité de haïr et d’aimer. Et si l’environnement ne fonctionne pas bien, la capacité de haïr et d’aimer tombe en panne, ça ne fonctionne pas et c’est le cas de Piggle : au lieu de pouvoir aimer et haïr sa mère à volonté, en sécurité comme dit Winnicott, elle ne pouvait pas le faire parce que la mère était en crise. A ce moment là elle s’effondre contre cette mère qui est en crise, elle invente une mère qui la poursuit : la mère noire dont elle a peur. Projection. C’est dans cette faille de la construction de l’ambivalence qu’elle tombe malade.

Il y a un bouquin de Nasio qui s’appelle Les grands cas de psychose : et Piggle y est traitée comme un cas de psychose ! Chez Winnicott, il n’y a de psychose que avant le « je suis » winnicottien ; après le « je suis », les problèmes psychiques ne sont pas du genre de psychose. Une fois que quelqu’un est constitué comme un « je suis » il ne devient pas psychotique. Il peut devenir paranoïaque, il peut devenir dépressif, mais il ne devient pas psychotique. Si le cas de Piggle est de l’étape du concern, après le « je suis » donc elle n’est pas psychotique. Elle n’est pas passée par la privation comme dit Winnicott, elle n’a pas de problème avant la constitution de soi-même, elle est quelqu’un qui a un soi-même unitaire seulement ce soi-même unitaire n’est pas capable de contenir deux choses importantes, l’amour et la haine, qui sont la conséquence de l’échec de la mère à s’occuper de sa fille comme elle en a besoin.

Le cas présente différentes nouveautés techniques.

-D’abord la méthode de psychanalyse sur demande. Winnicott constate que Piggle vient chez lui pour résoudre des problèmes. Elle a des problèmes, elle a des difficultés avec elle même et avec sa mère, elle le sait, et elle cherche Winnicott pour résoudre tel ou tel problème. De sorte que dans chaque séance, il dit « c’est ça l’essentiel de la séance, c’est ça le problème qui a été résolu dans la séance, elle est venue pour faire ça. »

-Le « setting amplifié », c’est, comme j’ai dit, une psychanalyse partagée.

-Le diagnostic, c’est assez important. Winnicott présente le cas avec une partie qui s’appelle « la patiente ». C’est une lettre de la mère qui décrit le bébé : « elle (Piggle) était toute d’une personne »…

Laura Dethiville : « Elle avait tout d’une personne, semblait-il » C’est comme si elle était déjà constituée comme unité. « Elle donnait l’impression d’avoir un monde interne, avec une bonne relation au monde externe. »

Seljko Loparic Elle était déjà constituée comme quelqu’un, une unité. Donc elle est déjà au delà du danger de la psychose. La mère dit que, quand elle tombait, elle se relevait et elle ne pleurait pas. Sa constitution psychosomatique fonctionnait bien. Ça va bien avec l’idée qu’elle était une personne, c’est à dire quelqu’un qui intègre ses états excités, ses mouvements… Un jeune enfant intégré, il peut tomber, c’est lui qui se relève, il ne demande pas l’appui de la mère … Il ne pleurniche pas.

Chez Winnicott on ne traite jamais un patient sans avoir une idée, même vague, de l’étiologie du cas. Ça veut dire : déterminer à quelle période de la maturation le trauma s’est produit. Le trauma chez Winnicott a un sens essentiellement temporel. Le trauma c’est un impigement (= empiètement, intrusion), un genre de relation avec l’entourage qui n’est pas en accord avec les capacités, les nécessités de l’enfant à son l’âge. Ce qui est traumatique quand un enfant a trois mois n’est pas traumatique quand un enfant a trois ans. Le trauma chez Winnicott ce n’est pas une intensité, c’est quelque chose qui est hors du temps, qui n’est pas en accord avec l’âge de la personne.

 

On va voir maintenant la lettre de la mère à propos de Piggle. La mère dit, p. 23: « elle a eu une petite sœur qui a maintenant sept mois, quand elle avait vingt et un mois, ce que j’ai estimé être beaucoup trop tôt pour elle ». C’est la mère qui parle… La mère, dans ce que j’ai pu comprendre, est kleinienne… Je reprends : « cela, joint à notre anxiété, a pu susciter le grand changement en elle. » Quelle anxiété ? L’anxiété de la mère ! Elle continue : « l’ennui la prend facilement, elle se déprime. » Dépression, c’est un phénomène, une perturbation typique de l’âge du concern. Ce n’est pas une dépression psychotique, c’est une dépression de l’âge d’après. Je reprends : « elle se déprime, ce qu’on ne voyait pas auparavant » (elle n’avait pas une dépression psychotique. Il y a des bébés psychotiques, déprimés) « et elle devient soudain très consciente de ses relations » : c’est une mauvaise traduction : pas « consciente de ses relations » mais « elle a peur de ses relations ». Conscious of, cela veut dire : elle n’est pas assurée dans ses relations.

Laura Dethiville : Ce qui est complètement différent ! Vous voyez pourquoi on travaille toujours avec les textes…

Seljko Loparic : « Elle est susceptible d’être touchée dans ses relations et surtout dans sa propre identité » Et voilà: elle a son identité, elle commence à être menacée dans son identité, non pas parce qu’elle n’a pas d’identité comme un psychotique. C’est parce que l’amour et la haine qu’elle a maintenant pour sa mère, ça ne rentre pas dans son identité, elle (ne) peut pas accommoder, intégrer ces deux choses.

« Et en plus la détresse intense et la jalousie manifeste à l’égard de sa sœur n’ont pas duré longtemps mais sa détresse était vraiment vive. » La détresse : elle a un problème en elle même, interne. Elle a déjà une vie interne.

Pour terminer je vais mettre l’accent sur ce qui se passe dans la session 9 : comme j’ai souligné que le problème de base de Piggle est le problème d’intégration de l’amour et de la haine de la mère, la haine de la mère qui ne vient pas de la pulsion de mort mais du fait que la mère a eu du mal à s’occuper d’elle à cause de ses problèmes à elle, la mère. Piggle a perdu sa mère, elle a perdu l’ambiance qui était bonne, elle était déprivée : c’est un cas de déprivation au sens strict winnicottien. La déprivation suscite l’attitude antisociale. Elle est antisociale mais elle n’arrive pas à intégrer son attitude antisociale parce qu’elle a du mal à avoir de la haine, à intégrer la haine contre une mère qui est dépressive. Une mère dépressive on s’en occupe. Donc elle peut pas devenir antisociale tout court, elle peut devenir antisociale peu à peu et c’est Winnicott qui l’aide à devenir agressive. Il se fait lui même agressif, il fait semblant qu’il est agressif, il s’identifie avec elle par identification croisée, il devient agressif avec les poupées, le bébé comme ça, et elle triomphe avec ça ; elle triomphe parce qu’évidemment, elle a réussi avec lui… Il se fait agressif et à ce moment là il ouvre pour elle la porte de l’intégration de sa propre agressivité. A ce moment là, ce qui doit surgir comme cure du cas de Piggle, c’est l’intégration de l’ambivalence.

Je cite ici la page 118 de la 9e session. C’est Gabrielle qui parle: « Je l’aimais beaucoup (la mère : elle parle au passé) Ça, c’est gentil… Qui a tiré sur Maman ? (Je l’aimais, mais quelqu’un a tiré sur Maman, elle se demande qui c’était…) Teddy avait un fusil et il est cassé (Teddy, c’est son petit ours, il avait un fusil, pour tirer sur la mère… mais c’est son ours à elle, et le fusil est cassé) La maman noire est ma mauvaise maman. J’aimais la maman noire. »

C’est un rêve, commente Winnicott, c’est un rêve rapporté sous la forme d’un jeu. Elle a continué à parler du joli wagon de marchandises. C’est intéressant cette histoire de l’amour de Maman et de donner un coup de fusil à Maman, c’est déjà un rêve. Ce n’est pas pris dans la fantaisie de peur de la maman, de la persécution. Maintenant elle peut rêver de l’amour et de la haine, elle peut rêver.

« Ce fut ce moment là, dit Winnicott, où je dis qu’il était temps de s’en aller ». Fin de la session. Le travail était fait. En d’autres termes, l’angoisse a été surmontée d’une certaine façon au cours de l’heure. C’était un nouveau stade, la réalisation de l’ambivalence.

Une fois qu’elle a réalisé l’ambivalence, à la session 9, à la session 10 et 12 apparaît l’œdipe. Il y a le cheval qui froisse le lit, le jeu sexuel et d’autres choses et à la fin il y a la séparation de Winnicott, elle tue Winnicott, elle se sépare de Winnicott.

 Laura Dethiville : je voulais juste souligner cette idée que « quelque chose s’était passé, un problème avait été résolu dans cette séance. » Quelque chose avait eu lieu, il n’est pas besoin, même pas nécessaire de le verbaliser, ça s’est passé, ça a eu lieu. C’est extrêmement important, il n’est pas nécessaire de le verbaliser, pas nécessaire de l’interpréter, à la limite, il n’est peut être pas nécessaire que le thérapeute ait compris quelque chose : le tout c’est que ça a eu lieu.

 

Discussion

Le début de la discussion manque, … jusqu’au moment où un intervenant prononce le terme « sujet ».

Seljko Loparic : Il faut tout de même que j’intervienne : sujet n’est pas un terme winnicottien…

Laura Dethiville: Oui mais c’est un terme de chez nous…

Seljko Loparic : D’accord, mais on est dans l’Internationale, alors pourquoi ne pas respecter les termes français, et puis les termes étrangers? Winnicott ne dit jamais sujet, il dit « I am », identity, l’identité. C’est quoi l’identité ? L’identité, c’est le « je suis », I am, et c’est pas le sujet. Le sujet est constitué par la loi, par l’interdiction, je sais pas quoi. Le sujet, le I am winnicottien n’est pas constitué par une interdiction, par une loi, il est constitué par l’idée d’une unité, le schéma de l’unité. L’unité de quoi ? L’unité des états excités et des états de repos, et des rapports que ces états suscitent et permettent d’avoir avec le monde non moi. C’est ça le sujet winnicottien, ce n’est pas le sujet lacanien, ni le sujet français.

Miren Arambourou: C’est le sujet de la grammaire, le pronom sujet. Il y a l’ambivalence de la grammaire, c’est le pronom sujet : I. Ego, en latin, c’est le pronom sujet.

Seljko Loparic : mais Winnicott n’utilise pas le mot, il utilise I am

Laura Dethiville : il y a des textes où il dit I: « on arrive à la notion de I »

Seljko Loparic : Tout à fait d’accord, mais c’est pas le sujet français.

  1. Arambourou : Ce n’est pas le sujet lacanien. Ce n’est pas le sujet de l’inconscient, ce n’est pas le sujet du droit parce que, effectivement, le sujet du droit est constitué par la sujétion, la soumission à un pouvoir etc. Ce n’est pas du tout ça. Il y a l’ambigüité en français… Moi, je veux bien qu’on cherche un autre terme…
  2. Loparic : Ce n’est même pas le sujet au sens de substance, ce n’est pas une chose, pas une substance. Le sujet winnicottien n’est pas une substance, c’est un mode de fonctionner, c’est un mode d’être, un mode d’être… Le je suis winnicottien n’est pas le cogito cartésien, ce n’est pas une chose qui pense. Ce n’est pas une chose, c’est une manière d’être unifié. D’ailleurs c’est le père qui est le modèle de cette identification, le blue print de l’identification … C’est un mode d’être, c’est pour cela que ce n’est pas un sujet. Un sujet ce n’est pas un mode d’être.
  3. Arambourou: Dans la langue française, le sujet grammatical, c’est un mode d’être…

Laura Dethiville : Eh bien voilà, ça va faire partie de notre travail…Vous savez, nous créons un groupe de travail sur les termes winnicottiens. Pour essayer de trouver des traductions… Loparic, lui, va lancer un dictionnaire, auquel on peut tous participer…

Seljko Loparic : La question de l’identité : elle avait son identité, elle commence à la perdre. C’est pourquoi on l’appelle Piggle, ce n’est pas son nom propre. Elle ne parle pas avec sa voix, elle imite la voix de la mère, la voix de sa sœur : même somatiquement, elle n’est pas elle même. Donc elle perd… Elle a eu son identité et elle l’a perdue ; quand il sent qu’elle devient elle même, qu’elle se récupère en analyse avec Winnicott, il dit Gabrielle.

 

Une participante : Il se trouve que je fais partie du groupe qui a travaillé la petite Piggle et je trouve que c’est très intéressant, je vous remercie beaucoup. Je voudrais dire, par rapport à l’œdipe, que je suis d’accord avec vous mais quelque part, elle est très vite dans l’œdipe. Très vite, lui il s’appuie sur l’œdipe.

La relation avec la mère ne se fait pas bien dès le début. Il dit très souvent : c’est avec le père qu’elle a une bonne relation. C’est vrai que c’est un peu un père-mère… La mère, on sent cette fragilité, sa dépression dès le départ.

Mais cette première consultation est incroyable. Il lui dit un nombre de choses: il y a le bébé, là, le bébé et la petite sœur, qu’est-ce qu’elle fait là… D’où viennent les bébés… Donc très vite, il s’appuie sur l’œdipe. Il dit: elle cherche à mettre un bâton dans la voiture et ça ne marche pas ; et puis il finit, en parlant de la maman noire, par dire : au fond ça va pas entre la maman et la petite fille parce qu’elle sont toutes les deux amoureuses du papa… L’œdipe est tout le temps là, malgré tout, je trouve qu’il s’appuie sur l’œdipe… Le père, la triangulation, je trouve que il la met dès le départ…

Jean François Solal: Juste un mot. Elle nous a dit que lui, Winnicott s’appuyait sur l’œdipe. Et on voit bien avec tout ce que vous avez dit – et on pourrait en rajouter – on voit bien que Winnicott est là dans quelque chose qui est de donner une valeur particulière à une triangulation qui effectivement n’existe pas encore chez cette petite fille. C’est à dire que s’il y a œdipe pour Winnicott, il n’y a pas encore œdipe pour Piggle. Nous avons fait un séminaire très fermé avec un petit groupe pendant plusieurs mois et nous faisions séquence par séquence. Certains d’entre nous l’avaient lu et d’autres pas, on y est allé au fur et à mesure… et nous avons découvert comment Winnicott faisait au fur et à mesure avec Piggle. Au dépar,t je me souviens bien, on a quand même dit qu’on n’était, nous, pas sûrs du tout que ça n’allait pas verser dans la psychose.

On en a eu le sentiment, alors même que la question psychose/névrose sont deux gros mots qui ne sont jamais utilisés par Winnicott. A aucun moment il n’emploie le mot psychose, à aucun moment il n’emploie le mot névrose. Et je suis d’accord avec vous, à aucun moment même la question œdipe n’est prononcée….

On voit bien qu’il y a quelque chose qui s’exprime dès le départ dans un transfert, dans une générosité de Winnicott, qui est d’avoir à proposer quelque chose qui vient de lui à cette petite fille, dès la première séance, même si au départ elle ne peut pas s’en emparer. C’est la vraie différence entre cette première séance et celle dont vous avez très justement parlé, c’est à dire la neuvième séance, celle où la question œdipienne s’installe, jusqu’à la dernière, avec des moments même très émouvants où Winnicott se laisse prendre dans ce qui se passe et il est dans une relation presque amoureuse avec cette petite fille. Il a une présence très particulière, lorsque cette petite fille effleure son genou par exemple, lorsqu’elle joue avec la règle. 

Sejko Loparic : même le sexe, elle touche, elle essaye de le toucher…

Jean-François Solal : Voilà… Il laisse les choses se faire, il les commente, tout cela avec un tact très particulier, sauf une fois, tout à la fin où il dit : tu aimerais bien manger le zizi de Winnicott… Je crois que c’est l’avant-dernière séquence… Autrement ça se fait avec un grand tact… On ne peut pas être d’accord avec quelqu’un qui dirait que c’est un cas paradigmatique de psychose infantile, certainement pas… Mais on part avec quelqu’un de très régressé …

Alors j’aimerais bien vous interroger sur un point qui a été discuté entre nous : La position qu’a Winnicott vis à vis de la famille. La famille participe, et la mère peut dire à Winnicott: « je vous remercie de m’avoir envoyé ce compte rendu, c’est très généreux de votre part. » Elle emploie le mot généreux. Il y a là vraiment quelque chose qui aide la mère : la mère se fait soigner par l’intermédiaire de Gabrielle, c’est tout à fait évident. Mais à d’autres moments, il nous a semblé que Winnicott tarde à recevoir Gabrielle. Gabrielle va mal, parfois, après les séances, elle régresse, et on a le sentiment que Winnicott laisse ce travail de régression se faire au sein de la famille : comme si la famille était une sorte d’institution où ça allait pouvoir se perlaborer, soigner, dans le sens presque psychiatrique du terme … Il y a là quelque chose qui peut choquer certains collègues. Winnicott dénoue, lève certaines résistances, certaines défenses et à ce moment là Piggle peut régresser dans sa propre famille… Ce n’est pas facile. On se demandait qui étaient ces parents. On a compris que c’étaient des intellectuels. Nous avons appris récemment que la mère était une psychanalyste…

Il y a effectivement quelque chose dans ce travail auquel tient beaucoup Winnicott, c’est le travail « à la demande », c’est les consultations « à la demande »… En même temps la demande parfois se fait pressante et il n’y répond pas toujours… On avait envie d’avoir votre avis là dessus…

Seljko Loparic : La régression, c’est toujours un signe de santé, d’espoir, un moyen que la personne peut utiliser pour revenir à l’époque de la maturation où tout allait bien, pour pouvoir reprendre la maturation et dénouer le problème qui s’était produit après.

On ne régresse pas au point de fixation comme chez Freud, on régresse à des points où tout allait bien dans les rapports avec l’environnement, on régresse pour qu’on puisse reprendre la maturation. La maturation qui s’est arrêtée à l’époque, pour Gabrielle, parce qu’elle n’arrivait pas à intégrer la haine de la mère, le conflit avec la mère.

Elle dit : je suis bébé. Elle s’installe dans la position où on a tous les droits d’un bébé, on a tous les droits aux soins de la mère. Ce n’est pas une régression psychotique, c’est une régression où elle se défait d’un faux soi-même qui la défend contre l’invasion de l’extérieur : elle revendique ses droits. J’étais abandonnée comme bébé parce qu’il y avait la sœur et ma mère ne savait pas quoi faire : elle se met dans le berceau, elle commence à réclamer son biberon, ce qu’elle n’a jamais fait avant. Elle se fait bébé. C’est une revendication de ses droits de bébé : j’ai perdu mon ambiance, maintenant je la veux de retour. C’est un sens spécifique, très spécifique de la régression dans le bon sens.

Un mot sur l’œdipe… Il n’a pas laissé tomber le fait qu’elle a joué un petit jeu œdipien. Il a pris ça comme une tentative d’élaborer son activité… sa spontanéité physique, psychosomatique. Ses problèmes étaient en relation avec son agressivité, avec sa capacité de faire quelque chose, d’être agressive. Mettre un axe comme ça, c’est une agressivité tout court. Ce qu’elle a besoin de récupérer, c’est la capacité d’être, elle même, agressive. Donc elle jette les objets sur Winnicott, elle fait ci, elle casse les choses à la maison, elle devient agressive physiquement et là l’agressivité du père, sexuelle, fait partie de cela. Winnicott n’évite pas les aspects sexuels de l’agressivité mais c’est surtout le tractus digestif qui est en cause et pas le tractus sexuel. Manger, dévorer, avaler, assimiler, et pas tellement la sexualité. Même les bébés se font en mangeant. Donc, si les bébés se font en mangeant, c’est une question œdipienne, mais ce qui est en jeu, c’est le tractus alimentaire.

Pourquoi c’est important ? Parce qu’il faut bien qu’elle assimile ces états excités pour qu’elle puisse être d’une façon excitée en rapport avec sa mère. Revendiquer de façon excitée des rapports avec sa mère, ce qu’elle a perdu. Donc je ne crois pas que ce soit l’œdipe. Il y a une composante génitale qu’il déniche chez Piggle qu’il exploite, qu’il exploite aussi. Mais l’accent principal, c’est la digestion, ce n’est pas sur la sexualité. C’est seulement après, à la session 10 qu’apparaît le cheval, et qu’apparaît clairement la situation œdipienne.

24 janvier 2015 Séminaire à Lyon

© Région Rhône-Alpes / Eric Bergoënd

 

Séminaire de lecture d’un texte psychanalytique  

La crainte de l’effondrement

Donald W. Winnicott, Gallimard, 2000

Joël Clerget

Nous envisagerons la singularité de l’approche de Winnicott afin d’en peser la pertinence théorique et clinique en nous introduisant aux termes de son élaboration. Nous les redécouvrirons par une lecture fondée sur la langue anglaise. Nous examinerons ce que l’originalité de sa démarche apporte à nos réflexions et à nos pratiques respectives. Nous lirons les articles suivants : La crainte de l’effondrement, (p. 205-216), Rien au centre, (p. 56-59), Le concept de régression clinique opposé à celui d’organisation défensive, (p. 318-326).

Dates : samedi 24 janvier 2015
Horaire : 9h30-12h30, 14h-17h30
Lieu : 3, rue Hippolyte Flandrin – 69001 Lyon
Coût : Formation continue (avec convention) : 180 € (formateur individuel déclaré, N° : 82 6904435 69). Inscription individuelle : 75 €

Nombre de personnes limité, inscription préalable

. ………………………………………………………………….
……….……………………………….……………………….. Bulletin d’inscription
À régler et à renvoyer à Joël Clerget, 3, rue Hippolyte Flandrin 69001 Lyon
Madame, Monsieur
Adresse
Tél.
E-mail :
Profession
S’inscrit à la lecture de La crainte de l’effondremet du samedi 24 janvier 2015 et verse la somme de
75 €.
Formation continue : 180 €.