Introduction de Laura Dethiville

Merci c’est une présentation très élogieuse, il va falloir que je sois à la hauteur maintenant !

Je voudrais reprendre, comment je me suis trouvée, non pas à rencontrer, mais j’allais dire à créé-trouvé moi Winnicott. Quand nous avons fondé la SPF, la Société de Psychanalyse Freudienne, il y a 20 ans, nous avons décidé de proposer un séminaire sur l’œuvre de Winnicott. 

C’est moi qui m’y suis collée. J’ai vite été passionnée par cette œuvre et dans le même temps, certains textes me semblaient indigestes et les livres me « tombaient des mains ». C’était lourd, je ne comprenais rien !

Et ceci jusqu’au jour où j’ai acheté à Londres, à la boutique du Musée Freud, Psychoanalytic Explorations (traduit partiellement depuis dans « La crainte de l’effondrement »). Et ça a été une révélation.

Et j’ai découvert que ce qui nous rendait parfois Winnicott indigeste, et aussi qui le banalise, c’est la traduction. 

Les premières traductions en Français ont donné une image fausse de Winnicott. Cela s’est amélioré ensuite avec l’équipe de J.B. Pontalis chez Gallimard, mais le mal était fait si je puis dire. Par exemple il y a une énorme erreur de traduction mais qui change tout le sens, c’est ruthless. Ca c’est un de mes chevaux de bataille je vous le répète, ruthless, c’est le terme winicottien.

Ca a été traduit, d’abord dans la bibliothèque Payot par « cruel », ce qui est totalement faux.

Le bébé, n’est pas cruel, il est ruthless, ce qui veut dire « sans égard », sans égard pour l’autre, parce que l’autre n’est pas encore constitué comme tel. C’est ça la révolution de Winnicott. 

Il ne parle pas d’un espèce d’amour maternel, mais d’une fonction, fonction qui peut être tout autant assumée par quelqu’un d’autre que la mère. 

A la fin de sa vie, il parlera de la mère-environnement et puis de l’environnement, qui permet que l’enfant puisse être, qu’il puisse venir au monde avec ces potentialités, et, à partir de là vivre sans être empiété (j’ai été obligée de faire un anglicisme puisqu’il parle des empiètements de l’environnement).

Et donc l’enfant n’est pas cruel. D’ailleurs Winnicott qui souvent n’est pas extrêmement précis, dit ruthless quand il parle du bébé, et il emploie cruel et cruelty pour l’adulte.

La cruauté ne peut être que du côté de l’adulte. Voilà, une des choses qui nous fait découvrir Winnicott autrement.

La mère suffisamment bonne, je n’ose même plus le dire, c’est good-enough mother, et traduit par la mère « suffisamment bonne » qui donne une idée fausse de la conception de Winnicott.

Vous trouverez dans Lettres Vives la lettre qu’il a écrite à Helen Stierling après une des soirées scientifiques du Mercredi : 

« C’est vous qui employez l’expression « good experience ». Il est important pour moi que, dans mes écrits, ce soit toujours « good enough » qui apparaisse plutôt que « good ». Je pense que les mots « good enough » aident le lecteur à éviter la sentimentalité et l’idéalisation ».

Good enough en anglais, c’est juste bon, juste ce qu’il faut sans plus. Si vous êtes invités chez des gens en Angleterre, et qu’à la fin du repas vous dites « It was good enough », et bien vous ne serez certainement pas souvent réinvité, ou alors c’est que vos hôtes avaient un sens de l’humour vraiment très fin.

Alors, que veut dire Winnicott ? Il dit que la mère doit être juste adaptée, on ne lui demande pas plus, il faut qu’elle soit adéquate. C’est très difficile à traduire, je n’ai toujours pas trouvé de solution satisfaisante. Avec Miren Arambourou, qui est là, et quelques autres qui sont là également, nous sommes en train de travailler pour construire un lexique winnicottien, et justement reprendre tous ces termes qui sont passés dans l’usage courant comme des slogans : le doudou, la mère suffisamment bonne, et qui donnent une image fausse de ce que Winnicott voulait dire.

On a du mal à trouver une traduction qui soit quand même un minimum élégante de good enough. J’avais mis « passable » dans mon premier livre, mais ce n’est pas très bien perçu pour les français. Mon premier livre est beaucoup autour de la reprise de ces termes, comme par exemple le terme de besoin. Les traductions écrivent qu’il faut que l’environnement s’adapte au « besoins », or il dit need, il dit ce qui est nécessité, ce qui nous ouvre quand même tout à fait une nouvelle écoute, il ne s’agit pas du besoin, il s’agit des nécessités, il s’agit de to meet the need. Il ne s’agit pas de répondre au besoin, il s’agit d’aller au devant de ce qui est nécessité, pas plus. Juste ce qui est nécessité pour un bébé humain. 

Vous le verrez toute à l’heure avec l’intervention d’Elisabeth Mercey.

Voilà, donc d’abord, une espèce de vision bêtifiante de Winnicott, dont j’aimerais que vous sortiez. Mais ce n’est pas que de la faute des traducteurs, c’est sa faute à lui aussi.

Par exemple, reprenons le terme de « pulsion ».

Lui, il ne parle pas de pulsion, il parle de impulse, mouvement vers. Systématiquement dans les traductions françaises, on parle de mouvement pulsionnel, de pulsion. Même instinctuel ils le traduisent par pulsionnel. Et c’est tellement vrai qu’un jour dans notre groupe de lecture, et ça nous a effarés, il y a une ligne, qui n’existe pas en français, ou il dit « et je vous parle de tous ces mouvements impulse, instinct, et drive ». Donc lui même faisait vraiment la différenciation entre ces trois nuances du mot, mais en français ça a sauté, parce qu’on traduit tout par pulsionnel.

Alors il y a aussi quelque chose qui nous échappe souvent, c’est qu’il était plein d’humour cet homme-là, et dans les conférences comme ça il faisait des petits jeux de mots, des petits trucs d’humour, et cela ne passe pas nécessairement à la traduction.

Donc ça c’est un premier point, le deuxième point c’est de faire de lui seulement un pédiatre qui serait venu à la psychanalyse. Ce n’est pas vrai, d’abord il n’était pas pédiatre, parce que la spécialité de pédiatre n’existait pas à l’époque, après ses études de médecine il voulait être médecin généraliste à la campagne, et puis il se trouve qu’il a obtenu un poste au Paddington Green Hospital dans un service d’enfants, alors qu’il n’avait aucune formation pédiatrique. Et il s’est mis à recevoir des enfants. C’était un quartier pauvre, des familles pauvres, plutôt pauvres, pour des enfants qui avaient des maladies physiques. Et il le dit lui-même il a fallu l’invention, l’arrivée des antibiotiques et des sulfamides pour qu’on s’occupe du psychisme, parce qu’avant il fallait d’abord sauver la vie des petits malades. C’est après qu’il a commencé à s’apercevoir que beaucoup de ces maux, certain de ces maux de ces enfants pouvaient être interprétés sur un plan psychique et traités de cette manière-là. Mais il lui a fallu le temps.

Il le dit lui-même, c’est dans « La crainte de l’effondrement », dans un texte qui s’appelle « D.W.W par D.W.W », Donald Woods Winnicott, il dit «  quand j’ai commencé à travailler dans ces hôpitaux, je n’avais aucune idée que le bébé est une personne. Ce ne sont pas les bébés qui m’ont appris, ce sont les patients adultes psychotiques borderline qui dans des phases de régression profonde m’ont appris à regarder et écouter le bébé autrement ». 

Vous voyez, on est loin du Winnicott qu’on a l’habitude de nous montrer.

A partir de son travail avec ce type de patients, il a commencé à réaliser comment l’individu est totalement tributaire de son environnement. Le mot environnement est arrivé tard dans son œuvre. Car il y a cet aspect à considérer, le temps qui passe, l’expérience clinique, une pensée qui se fait plus précise. Il y a une grosse différence entre les textes qu’il a écrit au tout début, et les textes qu’il a écrit avant sa mort, enfin dans les années 60. 

L’autre point, par rapport à son œuvre, n’oubliez pas que le dernier livre qu’il a corrigé avant sa mort, c’est « Jeu et Réalité », c’est tout ce qui est paru après a été collationné, retravaillé, présenté, je pense au mieux, par sa deuxième femme et par un Trust (le Winnicott Trust) qu’elle avait fondé pour s’occuper de son œuvre, mais on ne sait pas du tout ce qu’il aurait choisi de publier ou de laisser tel quel. Par exemple, « Rien au centre » que je relisais en anglais, et aussi en français, à cause du travail d’aujourd’hui, est-ce qu’il serait allé jusqu’au bout ? Ce sont des notes. Vous savez, les gens ont trouvés dans son travail des tas de petites notes de ci de là, mais même aussi des fois des petits bouts de papier comme ça ou il griffonnait hâtivement deux ou trois choses, mais c’est ce qu’on a trouvé avec Ferenczi. Les dernières notes de Ferenczi, c’est du même ordre, c’est des petites choses comme ça annotées de ci de là, des idées qui vous passent par la tête, donc vous voyez il faut prendre les choses comme un work in process, c’est-à-dire quelque chose qui est en élaboration.

L’autre chose, et ça c’est important parce que la langue anglaise permet ce que la langue française ne permet pas ou peu, il utilisait beaucoup les –ing vous savez, les participes présents, et il avait cette idée, et ça c’est essentiel, que tout est toujours en mouvement pour l’être humain, qu’il s’agit toujours d’un Sujet qui est en advenir. Et pour cela il disait on peut commencer des analyses à un âge avancé, ça vaut encore la peine.

Sa grande idée était, qu’est-ce qui constitue le vivant humain ? Je signale la parution prochaine de Winnicott « notre contemporain », ouvrage collectif qui reprend les interventions des deux dernières Journées Winnicott à la SPF. Vous y trouverez une interview inédite en français de Clare Winnicott, la deuxième femme de Winnicott, où elle reprend tout cet historique.

Ce n’est pas vraiment anecdotique, c’est des choses que je dis depuis des années, mais c’est bien de l’entendre dit par Clare Winnicott, et en particulier ce rapport au bébé, et comment elle dit que ce ne sont pas les bébés qui l’ont enseigné, mais les patients adultes en phase de régression profonde.

Il va reprendre donc cette idée qui était déjà l’idée de Ferenczi de trauma premier, de trauma archi-originaires. On trouvait ça chez Ferenczi qui parlait des traumas qui étaient au lieu de l’originaire. Pour lui, tout empiètement dans ce qu’il va appeler à ce moment-là le going on being de l’enfant, va l’obliger à réagir au lieu d’être. Françoise Dolto nous a habitués à parler de l’allant de venant, si semblable au going on being. 

Savez-vous que jusqu’à présent Françoise Dolto n’était pas traduite en anglais ? Ca veut dire qu’elle n’est pas connue dans le monde anglo-saxon. Vous n’en revenez pas ? Et bien, moi non plus je n’en suis pas revenue. Elle citait parfois Winnicott, mais lui ne la citait jamais parce que je pense qu’il ne l’avait jamais lue. Ce n’était pas traduit, et peut-être qu’il n’avait pas un français assez bon pour la lire dans le texte.

Voilà donc c’était pour vous parler de l’allant de venant, c’est-à-dire que lui, il avait cette idée que c’est un mouvement perpétuel qui porte le sujet. Il dit au début il y a un être humain, qui vient au monde, avec un potentiel inné, avec une inscription dans les signifiants qui ont précédés sa venue au monde, du côté maternel comme du côté paternel, il est pris dans le fantasme de ses parents, par rapport à ce qu’il va être, et puis il y a lui, et ce qui va devenir un Je, ça va être un mélange de toutes ces choses avec lesquelles il va falloir négocier.

Je vous dis deux mots sur l’IWA (International Winnicott Association).

Donc l’IWA Internationale, a été créée au Brésil, à partir du Brésil parce que c’est eux qui ont été moteurs dans cette histoire-là. L’idée était de faire une association Winnicott qui soit au-dessus de toutes les écoles, de tous les pays, parce que vous savez nos histoires on les retrouves à l’étranger, il n’y a rien de nouveau. Et donc il y a dans cette IWA alors le Brésil puisque c’est ceux qui ont commencé, la France, le Portugal, les Anglais, bien sur, avec à l’heure actuelle le Winnicott Trust qui est en train de rejoindre l’IWA, les Belges, les Grecs, et les Chinois. Ça fait quand même un bel ensemble. Et l’idée étant d’échanger entre chercheurs des différents pays pour se retrouver sur quelque chose. Revenant donc du Brésil après la création de l’IWA internationale, j’ai voulu marquer quelque chose autour de la dynamique de travail qu’on avait déjà mis en place depuis 4 ou 5 ans au moins, parce que j’avais créé à partir de mon séminaire, qui a lieu tous les mois à la SPF, des groupes de travail, des groupes de lecture, des groupes cliniques, à Paris et en province, donc en particulier Dijon, il y en a aussi en Bretagne, et à Lyon. Et donc, nous avons créé l’IWA France, et aujourd’hui c’est le premier colloque IWA France qui a lieu à Dijon, et je vous signale, nous allons recommencer en 2017, nous les français nous accueillerons, parce qu’il y a eu un très grand colloque au Brésil en mai dernier, mais c’est nous qui allons accueillir le Colloque International de l’IWA, à Paris. 

Je pourrais continuer toute la journée mais je crois qu’il faut que je m’arrête pour laisser la parole à mes collègues.

 

Posted in Non classé.